« If I can make it here, I’ll make it anywhere », dit la chanson. Pour les entrepreneurs de la tech française, on pourrait renverser l’adage : si tu veux réussir, tu dois réussir ton implantation américaine. Nombreux sont les fondateurs de start-up qui viennent s’installer aux Etats-Unis. Comment réussir son transfert ? Dans notre série « Les patrons expats », nous interrogeons des entrepreneurs et entrepreneuses venus conquérir l’Amérique. Cette semaine : Mathilde Collin, co-fondatrice de Front.
Dans le monde des présidents d’entreprise, Mathilde Colin détonne. Cette jeune Française de 34 ans est la cofondatrice de Front, belle licorne californienne qui aide les entreprises à mieux gérer leur service clients (l’entreprise a été valorisée à plus de 1.7 milliard de dollars en 2022). Elle fonde Front avec Laurent Perrin un an après la fin de ses études, et arrive un peu par hasard aux États-Unis après avoir été sélectionnée par le célèbre accélérateur Y Combinator. Après 10 ans à la tête de l’entreprise, Mathilde Collin vient d’annoncer qu’elle passait le bâton à un nouveau CEO, restant présidente exécutive de Front. Elle partage avec nous quelques leçons tirées de sa belle aventure américaine.
Business angel rodée, avec plus de 100 investissements à son actif dans des startups souvent très jeunes, Mathilde Collin se fie essentiellement à un critère : l’équipe. « Je recherche un mix de drive, de volonté d’apprendre, d’humilité et de confiance en soi ».
Elle-même a beaucoup misé sur l’équipe chez Front. Dès son entrée chez Y Combinator, elle mise sur un seul bureau, « pour aller plus vite et créer une équipe plus soudée », et relocalise les quatre premiers employés français à San Francisco. Comme beaucoup d’autres entrepreneurs aux États-Unis, elle voit dans l’alliance entre le réalisme français et l’ambition américaine une recette à succès. Elle fait venir des ingénieurs de France. « Nous avons beaucoup capitalisé sur les visas E2 pour recruter des ingénieurs français, raconte-t-elle. Cela nous a permis de recruter les meilleurs talents français, et in fine c’était plus facile et moins cher que de recruter des ingénieurs américains ».
Dans la Silicon Valley, la concurrence pour les talents est féroce. Pour s’assurer la loyauté de ses recrues, Mathilde Collin crée une culture d’entreprise forte : « Le marché du travail très concurrentiel m’a obligée à créer un environnement de travail excellent, à placer la barre encore plus haut ».
Pour l’entrepreneuse, un bon environnement de travail se caractérise tout d’abord par la confiance entre les employés et leur employeur. « Mon motto, c’est la transparence. Toutes les présentations importantes de Front sont disponibles en ligne, et je partage toutes les présentations au board avec l’ensemble de l’équipe. Cela permet aux employés de se sentir vraiment partie prenante dans l’aventure. C’est d’autant plus important que les employés font un pari risqué sur une jeune entreprise. »
Au-delà des employés, Mathilde Collin insiste sur l’importance de l’entourage personnel. À l’instar de l’ancienne COO de Meta Sheryl Sandberg, qui avait déclaré que sa meilleure décision professionnelle avait été d’épouser son mari, elle recommande de « s’entourer de gens qui croient en toi ». « Je suis arrivée a 24 ans, fille, française, ne venant pas de Google, de Stanford ou de Berkeley… J’ai la chance d’avoir un compagnon formidable qui m’a soutenue depuis le début et qui m’a donné confiance en moi ». Elle conseille également de ne pas hésiter à faire appel à des professionnels : coachs, psychologues. « Il faut ne pas se mentir à soi-même, être clair sur ce qu’on ne sait pas faire. Il faut apprendre à accepter ses faiblesses et ne pas avoir peur de l’échec. »
L’écosystème startup en France a beaucoup changé depuis dix ans, et est beaucoup plus favorable aujourd’hui que lors des débuts de Front. « Aucune entreprise n’a besoin d’aller aux États-Unis pour réussir, mais aller aux États-Unis peut accélérer la réussite », assure Mathilde Colin, grâce notamment à des ventes B2B plus faciles, et des investisseurs moins frileux.
« Les entreprises américaines sont plus ouvertes au changement, moins réticentes au risque, ce qui rend les ventes B2B plus faciles ». Pour l’entrepreneure, cela tient à la nature même du tissu économique américain. « Les entreprises du CAC40 en France sont peu ou prou les mêmes qu’il y a 30 ou 40 ans. À l’inverse, leurs équivalents américains sont d’anciennes startups qui ont connu une croissance fulgurante. Pas surprenant dans ce contexte que les grandes entreprises soient plus disposées à essayer de nouveaux produits, de nouveaux fournisseurs. »
Côté investisseurs, « les VC français demandent comment ton entreprise va croître dans les 5 à 10 ans – ils investissent dans ce qui marche. Les VC américains ont une approche différente – ils se demandent si ton entreprise a une chance de devenir énorme un jour. Ils prennent plus de risques ».
Alors, quand faut-il faire le grand bond au-dessus de l’océan Atlantique ? « Je conseille de ne pas trop attendre. Chaque trimestre que l’on passe en France rend plus difficile l’arrivée aux États-Unis : plus on tarde à venir, plus le coût de la relocalisation est élevé. Il y a plus d’employés à relocaliser par exemple. »