Il ne fait bon être malade nulle part, encore moins aux Etats-Unis. Sans grande surprise, la santé est l’une des causes principales d’endettement dans le pays de l’Oncle Sam. Pour les Français expatriés, la pilule est généralement difficile à avaler.
Hanna* (le prénom a été changé), 28 ans, s’en est rendue compte quand on lui a découvert un kyste ovarien de 6cm il y a trois ans. Jusqu’alors, elle ne disposait d’aucune mutuelle américaine. “En général, je profite de mon séjour annuel en France pour voir le gynécologue, le dermatologue et l’ophtalmo. En cas d’urgence, je vais à l’urgent care”, structure de prise en charge d’urgence. À l’été 2016, quand elle rentre en France, son gynécologue lui trouve cette anomalie kystique.
Elle doit alors réaliser une nouvelle échographie deux mois plus tard, afin de vérifier si le kyste continue de grossir. Mais ce fut bien plus compliqué à Los Angeles où elle vit le reste de l’année. “J’ai dû aller à l’urgent care où j’ai payé près de 200 dollars pour avoir une ordonnance, puis 90 dollars pour l’échographie. J’ai dû y retourner pour l’interprétation… Au lieu d’un seul gynécologue, j’ai eu affaire à l’administration, aux personnes des laboratoires, aux médecins, ça a pris des semaines”, se souvient-elle.
Alors que son médecin américain lui recommande de “surveiller l’évolution du kyste”, sa gynécologue parisienne lui offre “une autre lecture” et lui propose de prendre un rendez-vous avec un chirurgien. Elle choisit cette deuxième option pour une question de confort. En se renseignant sur le tarif de cette prestation en France et aux États-Unis, Hanna décide sans la moindre hésitation de prendre ses billets d’avion- 800 dollars. Elle est couverte par la sécurité sociale mais n’a pas de mutuelle. “À Los Angeles, le prix de l’opération variait entre 5.000 et 40.000 dollars, et sans y passer la nuit.”
Outre l’aspect financier, elle préférait être opérée en France “où il y a un vrai suivi”. Si les prix avaient été les mêmes, elle aurait sans aucun doute pris la même décision. “J’ai souvent entendu que les soins étaient déshumanisés aux États-Unis, surtout quand on n’a pas de mutuelle, avance Hanna. En France, la chirurgienne m’a donné des conseils, ça m’a rassuré d’autant plus que c’était ma première opération sous anesthésie.”
Si Marianne a vécu une expérience différente de celle de Hanna, elle l’a rejoint sur ce point. Cette septuagénaire américaine naturalisée française vit six mois de l’année dans la Bay Area et six autres dans la région de Grenoble. En 2017, alors qu’elle se sent affaiblie depuis plusieurs mois, on finit par lui découvrir un type de lymphome très rare. “J’ai vu de nombreux médecins aux États-Unis et en France avant que mon cancer ne soit détecté. Tous étaient persuadés qu’il y avait quelque chose d’anormal dû à la couleur jaunâtre de mon teint, mais personne n’a rien vu jusqu’a ce que je consulte un kiné français pour une sciatique”. En palpant son corps, il a remarqué que sa rate était extrêmement gonflée et lui a demandé de faire des examens spécifiques et complets. “Dans un système comme celui des États-Unis, on ne fait pas cette démarche parce que ça coûte trop cher. C’est pour ça que je suis restée dans l’ignorance un moment.”
À l’issue des résultats, Marianne a été rapidement prise en charge par les médecins du CHU de Grenoble. Ils lui proposent un traitement léger à base de chimio et d’immunothérapie pour six mois. Deux ans après, elle se sent véritablement chanceuse et reconnaissante de l’intérêt que lui a porté son équipe médicale. “Si c’était à refaire, je le referais. Après chaque traitement d’immunothérapie, on me demandait de rester sur place pour être sûre que je ne faisais aucune réaction. Ça n’aurait jamais été le cas ici. Le plus vite vous êtes réexpédié chez vous, le mieux on se porte, avance l’Américaine. C’était comme ça une fois par semaine pendant six mois. On venait me voir dans ma chambre, juste pour me demander comment j’allais. Je ne m’attendais pas à ça.” Au-delà de ça, elle apprécie le fait que tout a été simplifié pour elle: pas de paperasse inutile, pas de question de contrat d’assurance, pas de fournisseurs de soins (“providers“)…
Interrogée sur ce phénomène d’exode médical, Catherine Collins, médecin française installée aux États-Unis depuis une vingtaine d’années, considère qu’“il s’agit d’un faux problème”. Si l’aspect financier peut-être considéré comme un argument valable pour rentrer en Europe, cela dépend de chacun et de chaque assurance. Cette professionnelle défend l’accès aux soins sur le sol américain. “En tant que médecin pour Air France et KLM, j’ai eu un patient qui avait des problèmes neurologiques. J’ai réussi à lui faire voir un ORL le même jour et une IRM le lendemain. En contactant son médecin traitant, il m’a dit qu’en ambulatoire (traitement d’un patient sans hospitalisation, ndr) en France, ça n’aurait jamais été aussi rapide. Quand on a la bonne équipe et bonne connaissance du network, l’accès aux soins se fait très rapidement.”
De manière générale, elle admet que Français et Américains n’ont pas la même approche face à la santé. “La santé aux États-Unis est très réglementée et organisée, ça rend notre travail plus simple, mais ça peut le déshumaniser. J’arrive à comprendre que certaines personnes comparent le médical à un business. Ce n’est pas le cas en France où le relationnel prime tout comme le cas par cas. Ici, on suit des guidelines acceptées par tous. Vous verrez très rarement des gens venir pour une consultation le premier jour d’un rhume.”
Joanna Valdant (San Francisco) et Sandra Cazenave (Los Angeles)