Un réalisateur en herbe qui aime le kitsch, le sang, le bizarroïde, mais aussi David Lynch et Stephen King, se sent forcément à l’étroit dans l’univers du cinéma français. «Les drames familiaux dans des appartements parisiens», comme il le résume, ce n’est pas son dada. Qu’à cela ne tienne, Julien Magnat, pour son deuxième long métrage, «Faces in the Crowd», s’entiche de Milla Jovovich et de Julian McMahon (le beau chirurgien de la série NipTuck). Il tourne au Canada, 26 jours à Winnipeg, puis s’installe à Hollywood à l’automne dernier. «Je viens de terminer le film il y a 3 semaines», dit-il à la terrasse du Urth cafe, à West Hollywood, où il vit.
Ce film, il nous en montre quelques images: un thriller à première vue bien léché, où Milla Jovovich joue le rôle d’une institutrice trentenaire, victime d’un accident qui fait basculer sa vie. Témoin d’un meurtre sur un pont, elle échappe au tueur mais tombe et se heurte le crâne violemment. Elle se réveille à l’hôpital atteinte de prosopagnosie, c’est-à-dire incapable de reconnaître les visages (de ses proches, du sien, etc.). «La cécité des visages est une maladie qui atteint plus de gens qu’on ne le pense ; dans mon entourage, j’en connais trois», affirme Julien Magnat, qui a fait des recherches et rencontré des gens frappés de ce trouble. «Ca n’avait pas encore fait l’objet d’un film, et j’ai trouvé que c’était un thème parfait pour un thriller». Julian McMahon joue un inspecteur de police, mais l’enquête dépend évidemment davantage du personnage de Milla Jovovich, seul à pouvoir résoudre l’énigme. L’ex muse de Luc Besson (et son épouse pendant deux ans) nous a dit avoir accepté car elle a aimé le scénario et le personnage, différent de ses rôles dans les films d’action à la Resident Evil.
Pour Julien Magnat, il fallait « avoir un nom » associé au film pour obtenir des fonds. Environ 12 millions ont été dépensés, le budget d’un film français comme les Poupées Russes, de Cédric Klapisch, mais pas encore celui d’un blockbuster hollywoodien. Au-delà de la «franchise Jovovich», il vante le professionnalisme de l’actrice, et même son «regard de cinéaste». «Elle s’est donnée à 300%, c’est quelqu’un d’impressionnant, ça m’a changé de mon expérience en France», dit-il. Autre différence majeure, moins agréable: le rythme imposé. «Douze heures par jour, pour produire 8 minutes de film ‘utiles’, c’était un vrai camp militaire». D’autant plus que, en raison du script, il fallait changer les visages constamment, donc les comédiens. «Les maquilleurs et les responsables du casting méritent une médaille. Quant à moi, j’avais l’impression d’être un équilibriste qui jongle avec les contraintes».
Mais pas de quoi le décourager, au contraire. «J’ai pu travailler avec des gens avec qui je rêvais de le faire, tel René Ohashi», chef opérateur canadien réputé. «Je le voulais absolument pour pouvoir faire un thriller un peu classique, stylisé, à la manière de Hitchcock, avec des beaux plans stables, pas de caméra à l’épaule comme on fait aujourd’hui».
De manière générale, ce Français né en Ardèche, de parents qui faisaient «des petits boulots dans l’administration», aime faire les choses à sa façon, souvent pas le goût dominant. Il ne tourne pas en numérique, préférant l’ « âme » du 35 mm. Il idolâtre Xéna la guerrière et Fantômette, qu’il aimerait porter à l’écran. Pas vraiment le must des Cahiers du Cinéma, qu’il dit ne pas lire. Il écrit toujours des personnages principaux en forme de super-héroïnes. «Je suis gamin et second degré, je ne veux pas faire du Godard». On comprend que le petit monde de la Fémis (école de cinéma parisienne qu’il a faite) le « détestait », confie-t-il, mais il le lui rend bien en réalisant son rêve à l’autre bout de la planète.