C’est l’histoire d’un plat en voie de disparition, un pilier de nos bistrots qui renaît de ses cendres après avoir trop souvent joué les seconds rôles sur les ardoises. Trop simple, trop gras, trop souvent associé à nos mauvais souvenirs de cantine, l’œuf-mayo semblait avoir été aspiré dans une faille spatio-culinaire avec ses consorts d’infortune, la macédoine de légumes, l’aspic, le poireau vinaigrette et autre fromage de tête… Avant que quelques aficionados ne décident de le remettre au goût du jour.
En France d’abord où, depuis 2018, il a son championnat du monde annuel organisé par l’Association de sauvegarde de l’œuf mayonnaise (A.S.O.M.). Mais aussi ici à New York où des chefs hyper créatifs ont décidé de le twister pour le faire gober à leurs compatriotes. « C’est une très bonne nouvelle qu’on s’intéresse à l’œuf-mayonnaise de l’autre côté de l’Atlantique, se félicite Pierre-Yves Chupin, directeur du guide Lebey et de l’ASOM. C’est un emblème de notre patrimoine. Et ça veut dire que la cuisine française continue de rayonner à l’étranger ! D’ailleurs j’invite tous les chefs new-yorkais à venir se mesurer aux Français lors de l’édition 2024 de notre championnat. »
Bénéficiant du retour en force de la cuisine française à New York, l’œuf-mayo apparaît en effet sur les cartes de plus en plus d’établissements se revendiquant « brasseries ». Le French Diner, Libertine, Frenchette à Manhattan. The Four Horsemen, Le Crocodile et Sailor à Brooklyn, entre autres. Plus étonnant, ces restaurants et bistrots français sont tous tenus par des chefs… américains ! Comment expliquer cette « œuforie » chez les Yankees ? « C’est un plat extrêmement versatile, qui se prête très bien à la fantaisie des cuisiniers. Il ne nécessite qu’un ingrédient bon marché dans sa version de base et il peut être réalisé toute l’année sans contrainte de saisonnalité. Il est donc très accessible dans tous les sens du terme », nous explique encore Pierre-Yves Chupin.
Un peu comme une page blanche où toutes les fantaisies seraient permises. En témoigne la version marbrée so instagrammable du chef de The Four Horsemen à Brooklyn. Nick Curtola le revisite avec une mayonnaise à l’encre de seiche, des fava beans et une pointe de caviar. Forcément, on est loin des demi-sphères posées nonchalamment sur un lit de laitue et flanquées d’une cuillères à soupe de mayo industrielle. Et c’est aussi ça qui plaît.
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Chez Libertine, les œufs se drapent d’un velours jaune pâle, quelques tiges de ciboulette pour le côté herbacé, le tout relevé d’une pulvérisation saline apportée par les œufs de truite qui explosent en bouche. « C’est le premier plat que j’ai mis à la carte. Ça correspondait parfaitement à l’esprit du lieu que je voulais ouvrir. Classique et simple. Ici, le plus important était la texture de la mayonnaise qui recouvre l’œuf pour contrebalancer sa densité. C’est un aïoli épais que j’émulsifie avec de l’eau jusqu’à obtenir ce résultat », détaille Max Mackinnon, chef de l’établissement de West Village.
Vous pensez toujours que la recette est bête comme chou ? Que nenni. Un bon œuf-mayo, c’est une entreprise de précision. Un plat constamment en équilibre, qui balance entre nostalgie et modernité, cuisine de ménagère et talent culinaire. Pour que la sauce prenne, les gestes basiques vont révéler le talent du cuisinier. Concrètement ? « Un bon œuf-mayonnaise, c’est avant tout une cuisson parfaite. 8 minutes 20 secondes très exactement. Le jaune doit être encore crémeux, fondant. L’assaisonnement doit être précis. La mayonnaise réalisée avec une huile neutre de préférence doit être relevée par un trait de citron ou de très bon vinaigre », détaille Pierre-Yves Chupin.
Qu’en pensent les Américains ? Chez Frenchette, l’œuf-mayo est un best-seller. Toutefois pas à mettre entre tous les palais. Comme en témoigne Ellen Hunter, la foodie derrière le compte Instagram @thestarcrawl. « J’avoue, j’ai testé mon premier œuf-mayo la semaine dernière chez Frenchette. Et ça m’excitait beaucoup, surtout en version truffée. Quand le plat est arrivé, je salivais, la générosité de la sauce, les copeaux de truffe, le jaune encore souple à la découpe… Et puis, à la première bouchée, j’ai su que ce n’était pas pour moi. Trop riche. Presque écœurant ». L’influenceuse décide alors de lancer un sondage parmi ses followers (majoritairement américains). « 45% adorent. 45% détestent. 10% n’ont jamais testé ».
Tendance certes, l’œuf-mayo divise et n’est pas encore un amuse-gueule œufcuménique…