Il s’était juré de ne pas écrire de livre. Résultat… Roland Lescure a écrit un livre, Nos totems et nos tabous: dépassons-les !, paru aux éditions de l’Aube. « Je m’étais dit que je ne serai jamais un politique auteur de livres. C’est un truc très français alors que je voulais justement être un élu moins français que les autres », raconte le député des Français d’Amérique du Nord.
Ce qui l’a fait changer d’avis ? L’irruption dans la vie publique du terme « islamo-gauchisme » après l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020. « J’ai vu notre capacité incorrigible à prendre un mot, le tendre et se déchirer dessus, explique-t-il. J’étais à la buvette de l’Assemblée et je me suis: ‘Tiens, encore un totem !’ ».
Mots et concepts qui font débat
Son ouvrage passe en revue une dizaine de mots et concepts qui font débat, des « termes valises dans lesquels chacun met ce qu’il veut » : la figure tutélaire du général de Gaulle, le cannabis, le service public, le rapport à l’argent, la protection sociale… Au-delà du constat, il donne des pistes de réformes pour surmonter les frictions. Le tout saupoudré de quelques éléments biographiques. Son enfance dans une famille communiste en banlieue parisienne, son recrutement par les « Marcheurs » quand il était vice-président de la Caisse des dépôts et placement du Québec.
« Ce livre est un peu mon compte-rendu de mandat. Ces totems et tabous sont les miens, résume-t-il. C’est aussi un discours de la méthode. Dans un monde extrêmement tendu, violent, immédiat, il est possible de construire des débats apaisés, en cherchant le compromis et en repensant notre ADN politique, le ‹ en même temps ›. On peut être de droite et de gauche à condition de le faire intelligemment ».
Des pistes de réformes inspirées de l’Amérique du Nord
Dans les pistes de réformes mises en avant, certaines sont directement inspirées de l’Amérique du Nord. Il propose notamment de tenir les élections présidentielles et législatives en même temps pour éviter le phénomène de « vague » partisane à l’Assemblée. « Les scrutins simultanés donneraient une prime majoritaire au président, mais sans doute avec moins de marge, ce qui créerait une démocratie et des débats plus équilibrés ».
Il suggère également de réduire le nombre de parlementaires. « Aux États-Unis, chaque congressman est responsable de 500 000 voire d’un million d’électeurs et dispose d’une équipe de vingt personnes. Je suis le député français qui représente le plus grand électorat – 300 000. J’ai un staff de cinq à six personnes parce que je préside une commission, explique-t-il. Avec moins de parlementaires mais plus de moyens, on serait plus écoutés et influents ».
L’un des visages du parti macroniste
Il se montre également favorable à la légalisation du cannabis – « la condition de sa régulation » – et au recours limité aux statistiques ethniques. « Tant qu’on ne mesurera pas les discriminations de manière objective, on aura du mal à assumer qu’elles existent vraiment. Ces statistiques ne sont pas l’alpha et l’omega, mais il faut réfléchir à des outils pour mieux mesurer les pratiques discriminatoires, peut-être via des testings généralisés ou des indicateurs sur la provenance culturelle ».
À la fois livre bilan, programme et biographie, Nos totems et nos tabous : dépassons-les ! est aussi une déclaration d’amour à La République en Marche (LREM), à moins d’un an de la présidentielle. « Il n’y a pas un moment où j’ai regretté mon changement de vie », écrit le député en fin d’ouvrage. Depuis son élection en 2017, il est devenu l’un des visages du parti macroniste. Président de la commission des Affaires économiques, porte-parole, il a aussi brigué le poste de chef de groupe à l’Assemblée nationale en 2018. On parle régulièrement de lui comme d’un ministre potentiel. « Cette montée en puissance, c’est celle de quelqu’un qui a appris à faire son job et y a pris goût ».
Priorité à la présidentielle
A-t-il perdu son identité de Français de l’étranger, issu de la « société civile », dans le jus de la politique nationale ? « Je suis devenu plus politique dans le sens où j’ai appris à naviguer un environnement que je ne maîtrisais pas. J’espère avoir gardé mon ancrage dans le secteur privé – l’efficacité est pour mois une valeur cardinale – et conservé une spontanéité nord-américaine. Les Français de la circonscription m’y aident. Ils n’hésitent pas à me dire quand ils me trouvent un peu trop langue de bois ! ».
L’élu reste muet sur ses propres intentions pour la prochaine législative. « C’est trop tôt, glisse-t-il. Lors de mes expériences professionnelles, j’ai toujours pensé que le meilleur moyen de préparer son job d’après est de bien faire celui d’aujourd’hui. Je vais déjà consacrer toute mon énergie à la présidentielle, qui s’annonce extrêmement risquée. Après, on verra… »