“C’est une grande fierté. Ce qui m’arrive est incroyable“. Depuis quelques semaines, Lillian Walla est sur un petit nuage. Cette Américaine de 96 ans, qui réside près de Stamford (Connecticut), fait partie des rares femmes à avoir reçu la Légion d’honneur pour son rôle pendant la Seconde guerre mondiale.
Depuis la remise de la décoration au consulat de France à New York en mai au côté d’autres vétérans, elle enchaine les interviews dans la presse locale et les honneurs. Lors du dernier Memorial Day, journée d’hommage aux vétérans, elle a été nommée “Grand Marshal” de la parade de Stamford.
La dynamique nonagénaire, qui n’est pas avare en humour, fut infirmière dans l’armée américaine pendant le conflit. Arrivée en France avec son unité en décembre 1944, après “avoir zigzagué en bateau entre les sous-marins dans l’Atlantique“, elle et d’autres jeunes femmes ont traité les blessés qui revenaient du front dans un hôpital installé près d’Aix-en-Provence. Elle y a soigné des dizaines de patients tous les jours pendant plus d’un an. “J’ai le souvenir d’un homme qui souffrait d’hépatite. Il est mort dans mes bras avec une photo de sa femme et ses deux enfants”, dit-elle.
Fille de pharmaciens, cette native de Long Island a commencé sa carrière pendant la crise des années 30. Frappé par la Grande Dépression, son père n’a plus les moyens financiers de l’envoyer à l’université. Mais deux oncles, des médecins, l’inscrivent dans une l’école d’infirmières à Brooklyn. “C’était fascinant. J’ai vu pour la première fois des enfants venir au monde. Je ne pensais jamais voir quelque chose comme ça un jour“.
En 1942, elle rejoint un hôpital de Staten Island spécialisé dans les soins au personnel naval. Après avoir entendu des infirmières parler de rejoindre l’armée, Lillian Walla décide de franchir le pas en 1944. Le 11 décembre de cette année, elle part en France avec le grade de sous-lieutenant. Elle a 22 ans. “Pendant la Grande Dépression, on croyait que seuls les millionnaires allaient en Europe. Pour moi, c’était incroyable ! J’ai appris le français, je lisais beaucoup“.
Sur place, toutefois, les conditions sont difficiles. Outre les morts et les blessés, il y a ceux qui tombent malades de leurs blessures. Les infirmières n’avaient “ni douche ni baignoire” et vivaient dans des conditions “rustiques“. Mais Lillian Walla se réfugie dans la lecture de livres historiques et dans les parties de bridge et de ping pong – “j’étais la championne du tennis de table“, glisse-t-elle. “Il y avait des choses qui me choquaient quand je voyais les blessés arriver. Mais je n’ai jamais été en colère. J’aimais faire le travail et je le prenais très au sérieux. Nous faisions ce que nous devions faire, et toutes les jeunes femmes autour de moi étaient dans cet état d’esprit. Nous faisions notre travail“. Elle reste en France jusqu’en janvier 1946 pour s’occuper de patients, tout en prenant le temps de découvrir la côte d’Azur pendant ses permissions.
Il est rare qu’un non-combattant soit décoré de la Légion d’honneur. Qu’une femme le soit l’est encore plus. Claire Voisin, qui traite les dossiers de demande de légions d’honneur au consulat français à New York, indique qu’elle n’a vu qu’une seule autre femme être décorée en quatre ans à son poste. “C’était une infirmière aussi“, précise-t-elle. Mais celle-ci n’a pas pu participer à sa cérémonie de remise en raison de son état de santé.
Claire Voisin explique que le dossier de Lillian Walla a présenté des défis particuliers. En tant qu’infirmière, l’Américaine n’avait pas de “honorable discharge“, un document officiel qui relâche un militaire de ses fonctions. Ce document fait partie des pièces à fournir pour monter le dossier de candidature, qui est envoyé par les consulats à l’Ambassade de France à Washington puis à la Grande Chancellerie de la Légion d’honneur à Paris. “Le document comporte notamment une case “campagnes et batailles” qui permet de prouver que le demandeur a servi en France. S’ils ont servi en Rhénanie ou dans les Ardennes en Belgique, le dossier ne peut pas être traité“, précise Claire Voisin.
Lillian Walla n’a pas ménagé sa peine pour prouver qu’elle avait bien servi en France. Elle a contacté le sénateur du Connecticut Richard Blumenthal, qui l’a orientée vers le National Personnel Record Center, où sont stockées les archives militaires américaines. “Ils ont trouvé les archives de son unité qui prouvaient qu’elle était bien en France à ce moment-là“, poursuit Claire Voisin. Entre les premières démarches de l’ex-infirmière en 2012 et sa décoration, six ans se sont écoulés. “On a tout fait en s’échangeant des lettres. Les aller-retour ont pris du temps”, sourit Claire Voisin, qui suit le dossier de Lillian Walla depuis 2015. “D’ordinaire, le traitement des dossiers prend en moyenne 4-5 mois“.
Depuis qu’elle a reçu la distinction, Lillian Walla dit “vivre dans un rêve“. Mais elle ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de culpabilité. “Ma dernière collègue infirmière en France est décédée le mois dernier. Elle la mérite autant que moi“.