Les peintres parisiens du début du XXe siècle sont célébrissimes – Pablo Picasso, Marc Chagall, Marcel Duchamp, Henri Matisse pour ne citer qu’eux – mais ce qui est moins connu, c’est le mouvement artistique qui a émergé quelques années avant la Première Guerre mondiale et qui a tour à tour intéressé plusieurs de ces grands artistes : l’orphisme. Le musée du Guggenheim lui dédie une exposition en ce moment, appelée « Harmony and Dissonance : Orphism in Paris, 1910-1930 ».
Le nom orphisme a été inventé par Guillaume Apollinaire en 1912 en référence au personnage de la mythologie grecque d’Orphée, qui a influencé la nature et déjoué la mort grâce à sa musique. Le terme désigne une mouvance de peintres de différentes nationalités, qui se sont éloignés de la figuration fragmentée et des couleurs douces du cubisme pour aller vers un univers plus abstrait et vibrant, coloré. Il est « l’évolution lente et logique de l’impressionnisme, du pointillisme, de l’école du fauvisme et du cubisme », selon le poète en 1913.
L’exposition fait la part belle aux artistes emblématiques de cette période, Robert Delaunay et sa femme Sonia (moins connue, mais au moins aussi talentueuse et prolifique), František Kupka, Francis Picabia, qui ont été profondément influencés par les innovations techniques de l’époque, comme les nouveaux modes de transport et de communication qui ont changé leurs conceptions du temps et de l’espace. Le transport aérien leur a permis de voir les choses sous de nouveaux angles et les éclairages de donner de nouvelles teintes aux lumières de la ville.
Ils ont aussi mis en lumière les nouvelles musiques et danses comme le jazz et le tango, mises à l’honneur dans une superbe fresque rectangulaires de Sonia Delaunay. Ils ont été suivis par des artistes renommés pour d’autres tendances artistiques comme Marcel Duchamp, George Seurat (qui a combiné pointillisme et orphisme dans une toile) ou Marc Chagall – ils ont tous expérimenté, même brièvement, l’orphisme.
Le point commun de ces artistes est de couper court aux références de temps et de s’engager dans la notion de simultanéité, mais aussi de faire des recherches novatrices de compositions kaléidoscopiques – avec des toiles en formes de losange, de longues ellipses – pour étudier le pouvoir transformateur de la couleur, des formes et du mouvement. Ils ont poussé un peu plus loin l’abstraction, les jeux de lumières chaudes et de formes rondes fascinent chez Robert Delaunay, tandis que le tchèque Kupka nous aspire dans un vortex de couleurs et de mouvements, que chacun peut interpréter à sa façon (voyez-vous un corps de femme dans la toile ci-dessous ou autre chose ?).
Les quelques 90 œuvres toiles présentées, dont la plupart viennent de la collection permanente du Guggenheim, sont complexes et intrigantes, et elles prennent d’autant plus d’envergure en progressant dans le superbe escalier de la rotonde en spirale du musée. L’exposition évolue vers la reprise de ce mouvement par des artistes étrangers, notamment les peintres américains Stanton McDonald-Wright et Morgan Russell – qui se sont revendiqués du synchromisme. Le mouvement orphisme sera néanmoins interrompu par la Guerre de 14-18, repris dans les années 20 mais tombera définitivement dans l’oubli dans les années 30, notamment au profit du surréalisme.
« Harmony and Dissonance: Orphism in Paris, 1910–1930 » au Solomon R. Guggenheim Museum, 1071 Fifth Avenue (entre les 88th and 89th Streets), jusqu’au 9 mars 2025. Ouvert tous les jours de 10:30am à 5:30pm, fermé le 25 décembre.