Lundi 20 septembre, jour à marquer d’une pierre blanche dans le calendrier d’Alicia Souilly, gérante de l’entreprise 1 Day in Las Vegas. Avec la levée du travel ban annoncée ce jour-là par la Maison Blanche pour le mois de novembre, cette Française en visa E-2 va enfin pouvoir aller-et-venir comme elle le souhaite entre la France et les États-Unis.
Sa petite entreprise d’organisation de mariages va aussi en profiter, après une année difficile marquée par une disette de couples internationaux. « Je suis ravie de cette annonce car j’avais plus d’une vingtaine de couples qui n’avaient pas pu se marier en 2020. Ils attendaient impatiemment de pouvoir reprogrammer une nouvelle date et certains n’y croyaient même plus, explique-t-elle. Dès l’annonce de la fin du travel ban, il y a eu une effervescence toute la journée avec de nouvelles demandes de couples et des agences qui ont repris contact concernant des dossiers en attente. Cela fait un bien fou et surtout cela remonte le moral. »
Elle n’est pas la seule Française des États-Unis à se réjouir de cette nouvelle très attendue. Depuis dix-huit mois, l’entrée sur le territoire américain était réservée aux seuls citoyens américains, aux titulaires de carte verte et à certaines catégories de visas bénéficiant d’un régime d’exemption. Les autres étaient bloqués de part et d’autre de l’Atlantique, faute de pouvoir entrer ou retourner sur le sol américain, à moins de passer par un pays non visé par les restrictions de voyage, comme le Mexique. Ces restrictions ont donné lieu à des cas de familles séparées ou de personnes obligées de renoncer à un voyage en France pour voir un proche mourant par peur de ne pas pouvoir revenir.
Le 20 septembre, Jeff Zients, coordinateur de la lutte contre la pandémie à la Maison Blanche, a indiqué que les frontières seront rouvertes aux voyageurs européens vaccinés. Ils devront montrer à l’embarquement la preuve qu’ils sont totalement vaccinés, ainsi qu’un test Covid négatif datant de moins de 72 heures.
« Soulagement »
Pour tous les Français aux États-Unis qui n’ont pas pu voir leurs proches depuis plus de 18 mois, l’heure est à l’euphorie. « Nous sommes vraiment très heureuses de savoir que nos parents qui habitent en France -et sont vaccinés- vont pouvoir venir nous voir et surtout rencontrer leurs petits-enfants! Nous avons beaucoup souffert d’être éloignés d’eux depuis maintenant près de deux ans », souligne Marie, une maman de San Francisco qui a accouché de jumeaux fin août. « Savoir que mes parents ne pouvaient venir être proches de nous dans ces moments exceptionnels que ce soit la grossesse, la naissance ou les premiers mois de vie de nos enfants nous a brisé le cœur. La nouvelle de la levée du travel ban est véritablement un soulagement et un espoir ! »
« C’est un véritable soulagement pour moi de savoir que nous pourrons voyager sans quarantaine et passer Noël en France en famille, nous sommes comblés », explique pour sa part Laure-Ellyn Charier, une Française de New York qui a dû passer deux semaines au Canada lors de son dernier voyage en Europe.
Au-delà de la joie personnelle, la levée du travel ban offre aussi un bol d’air aux entrepreneurs français dont le business dépend en grande partie des visiteurs internationaux. Alexandre Reza, gérant du bar Tipsy Robot sur le Strip de Vegas, en fait partie. « Jusqu’à présent, nous avons vu venir de nombreux visiteurs à Las Vegas. Il s’agissait d’une clientèle nationale qui a beaucoup dépensé grâce aux aides publiques. Mais depuis la fin août, c’est plus calme. Le retour d’une clientèle étrangère va certainement redonner un coup d’accélérateur à l’économie locale. Nous espérons que cela générera la même euphorie qu’avec les Américains », explique-t-il.
Même son de cloche chez Élise Goujon, fondatrice de la société de guides touristiques en français Off Road à New York, Miami et Los Angeles. « Dès l’annonce, les gens ont été très réactifs et enthousiastes, on a senti qu’ils attendaient ça depuis 18 mois, se réjouit-elle. Ils ont encore des questions, comme sur les conditions de voyage et de sécurité ou encore les obligations de vaccins pour les enfants de moins de 12 ans, mais le sentiment est très positif ». Déjà, les réservations de visites pour Noël se remplissent.
Des questions subsistent
Béatrice Leydier ressent également un « soulagement », mais aussi une certaine surprise. Conseillère des Français de l’étranger à Washington, à l’origine d’une pétition réclamant la fin du travel ban qui a recueilli près de 7 500 signatures, elle ne pensait pas qu’il serait levé aussi rapidement. Certaines sources laissaient entendre, il y a encore quelques jours, qu’il durerait jusqu’en 2022. Mais la crise des sous-marins entre Paris et Washington a certainement précipité le calendrier. « Il y a eu un effort important de la part des diplomates, des journalistes et des politiques pour maintenir ce dossier dans les conversations. Quand les États-Unis ont dû trouver quelque chose pour faire un geste envers l’Europe, ils ont pris cela », avance-t-elle. Les autorités américaines le nient: elles assurent que les décisions relatives au travel ban ont toujours été guidées par la science. Béatrice Leydier ne doute pas de la solidité de l’annonce américaine, mais « garde des réserves sur plusieurs éléments » : les « délais qui restent très longs pour les visas à l’Ambassade, pour les EAD (autorisations de travail), fait-elle valoir. On ne connaît pas encore la date exacte de la levée ni quels vaccins seront acceptés par les autorités américaines ». Autre question en suspens, le cas des enfants de moins de 12 ans, non-éligibles à la vaccination.
Les pays pauvres, lésés
Chercheuse à la Brookings Institution, un think tank à Washington, Célia Belin a les mêmes doutes. Cette Française, qui avait alerté l’opinion sur le cas des ressortissants européens bloqués dans une tribune remarquée sur le blog du think tank, estime qu’il y a un besoin de clarification sur les modalités. « Comme nous avons un mois et demi, on pourra discuter de tous les vaccins non-reconnus, comme l’AstraZeneca et les vaccins du reste du monde. Il faut avoir cette conversation transatlantique importante maintenant », dit-elle. Les délais extrêmement longs pour les prises de rendez-vous pour les visas au consulat américain à Paris sont également un « point d’interrogation. Il ne faudrait pas que les touristes puissent voyager alors que ceux qui attendent des visas depuis longtemps restent bloqués. »
Surtout, elle rappelle que cette nouvelle qui fait le bonheur des Européens vaccinés fait le malheur des pays les plus pauvres, où les vaccins ne sont pas facilement disponibles. « Comme la vaccination devient obligatoire pour entrer aux États-Unis, la porte de l’Amérique s’est ouverte pour des millions de gens, mais elle se referme pour beaucoup d’autres », observe-t-elle. Les pays membres de l’Union européenne ont eux aussi serré la vis des restrictions contre les voyageurs non-vaccinés. « Ce régime va favoriser les pays riches, développés. Les ressortissants de pays pauvres vont être encore limités que d’habitude dans leur capacité à voyager », poursuit la chercheuse. Et de plaider pour que cette obligation vaccinale soit « temporaire » ou pour « s’assurer d’avoir une campagne de vaccination efficace” dans les pays pauvres. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. « Nous, Européens, avons vécu cette annonce comme une libération, mais pour d’autres, ce sont de nouvelles restrictions à l’entrée aux États-Unis ».
Malgré cette réalité, elle se dit « très heureuse » pour toutes les personnes touchées par l’interdiction de voyage avec qui elle a correspondu ces derniers mois : « des couples séparés, des gens rencontrant des difficultés professionnelles, ou confrontés à des choix impossibles entre leur carrière et l’enterrement d’un proche. Ces histoires m’ont brisé le cœur à titre personnel, raconte Célia Belin. Ils n’avaient aucun horizon depuis mars 2020. Cela nous manquait. Au moins, nous en avons un maintenant. »
Avec Sophia Qadiri (San Francisco), Anne-Laure Mondoulet (New York) et Laurent Garrigues (Las Vegas)