Dans les rangs du patronat français, certains soupçonnent l’association Human Rights Watch d’avoir profité d’une rentrée sociale explosive dans l’Hexagone pour mettre de l’huile sur le feu. « Il n’y a absolument aucun lien entre la publication du rapport et les évènements en France. Nous voulions sortir le document avant notre Fête du Travail, le 6 septembre, et l’intégrer ainsi aux débats sur les questions sociales aux États-Unis » se défend l’auteur du rapport, Lance Compa.
Professeur à la prestigieuse université de Cornell et spécialiste du droit du travail, Lance Compa explique avoir passé 18 mois à recueillir des témoignages d’employés, à lire des documents de travail, à correspondre avec les entreprises et à rédiger son rapport. Résultat: 130 pages et un titre pour le moins intriguant: “Une affaire étrange: violations de la liberté d’association des travailleurs aux États-Unis par certaines multinationales européennes”. Une dizaine d’entreprises, dont les françaises Sodexo (100.000 salariés en Amérique du nord) et Saint-Gobain (20.000 employés aux États-Unis) se voient épinglées pour non respect du droit syndical dans certaines de leurs filiales américaines, allant à l’encontre de leur propres valeurs, violant même ponctuellement la loi américaine, pourtant moins stricte que la réglementation française et européenne. Des accusations que réfutent le géant de la restauration collective et le leader mondial des matériaux de construction.
Dans les deux cas, l’auteur dénonce, exemples à l’appui, ce qu’il estime être des flagrants délits de non respect des normes internationales: campagnes d’intimidation menées par la direction via des réunions (“captive-audience meetings”) ou des tête-à-tête (“one-on-one meetings”) au cours desquels les employeurs font part de leur déception aux employés adhérant ou soutenant un syndicat, voire adressent des menaces de licenciement. Des actions interdites par la convention sur le droit d’association des travailleurs de l’organisation internationale du travail (OIT), convention ratifiée par la France… mais pas par les États-Unis. La loi américaine n’interdit donc pas les discours anti-syndicaux et les menaces verbales (elle ne les encourage pas non plus!). Selon le rapport, un des cas les plus criants est celui de l’usine Saint-Gobain de Worcester, dans le Massachusetts. Les salariés ont fini par dissoudre leur syndicat. La porte-parole de la filiale américaine de Saint-Gobain, Karen Cawkwell, s’en défend, rappelant que « la situation était complexe et que ce sont les salariés eux même qui ont voté, en toute liberté, de ne plus être représentés par un syndicat. »
Autre point commun: la non reconnaissance de la représentation syndicale choisie par le personnel. Selon la loi américaine, si plus de 50% des employés votent en faveur d’un syndicat, ce dernier représente alors exclusivement l’ensemble du personnel de l’entreprise. Une loi contestée parfois par les entreprises visées – d’où l’accusation de violation du droit du travail américain. C’est notamment le cas de Sodexo, engagée depuis des années dans un bras de fer avec le Service employees international union (SEIU). « Nous entretenons un dialogue ouvert et positif avec tous les syndicats, excepté le SEIU, en raison de ses campagnes de dénigrement qui salissent la réputation de Sodexo », explique Alfred King, le directeur de la communication de Sodexo USA.
Le SEIU, dirigé pendant 16 ans par le très charismatique Andy Stern, est extrêmement actif. Le 16 avril dernier, une manifestation de salariés devant le siège américain de Sodexo, à Gaithersburg, dans le Maryland, avait été largement médiatisée du fait de la présence et de l’arrestation de l’acteur Dany Glover (célèbre pour son duo avec Mel Gibson dans l’Arme Fatale) aux côtés d’Andy Stern. Durant l’été, la fédération CGT des services a porté plainte auprès de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour non-respect des droits syndicaux par Sodexo aux États-Unis (et en Colombie). Le SEIU a fait de même. « Le seul but du SEIU est de devenir le syndicat dominant de notre industrie, aux détriments des autres syndicats » ajoute Alfred King. Le dialogue est donc rompu. Sodexo USA se targue d’avoir un taux de syndicalisation très élevé: 15%, soit le double de la moyenne nationale dans le secteur privé (secteurs privé et public confondus, le taux de syndicalisation aux États-Unis est de 12,3%… il est en dessous des 8% en France).
« Les employeurs aux États-Unis peuvent licencier des employés ayant participé à une manifestation, comme celle qui s’est déroulée en France le 7 septembre dernier », déplore Lance Compa. Ce que devrait interdire la reforme en cours, l’Employee Free Choice Act. Ce texte (auquel Andy Stern, l’ex-patron du SEIU, a largement contribué), actuellement bloqué au Congrès « par une minorité républicaine”, a le soutien de Barak Obama. Il comprend de nombreuses mesures pour protéger les salariés qui souhaitent se syndiquer. « Ce n’est pas un texte miracle. Il y aura toujours des pressions sur les employés pour qu’ils n’adhèrent pas à une organisation syndicale. Mais il devrait leur permettre de choisir librement leurs représentants”, estime Lance Compa (Sodexo et Saint-Gobain n’ont pas voulu s’exprimer sur la réforme). Avant de conclure: « Nous espérons que ce rapport aidera le vote du texte au Congrès”. L’Employee Free Choice Act n’est toujours pas à l’ordre du jour au Sénat.
0 Responses
bonjour,
article interessant au moment ou la France va elle condamner RYAN AIR pour des problemes de non respect du droit du travail.
Est-il possible d’échanger sur d’autres points avec l’auteur si elle utilise l’adresse mail pour contact.
stephane