Qui a dit qu’il ne fallait jamais copier sur ses petits voisins ? Certainement pas Bernard Reybier… Lorsqu’il a repris Fermob en 1989, l’entreprise comptait 14 salariés pour moins d’un million d’euros de chiffre d’affaires. Mais l’entrepreneur pense immédiatement à l’international. « Ne sachant pas trop où me lancer, j’ai regardé sur quels marchés étaient présents les deux entreprises les plus importantes de mon secteur, Ligne Roset et Meubles Grange, et vu que les Etats-Unis étaient un de leurs premiers marchés. Je n’ai donc pas eu besoin de faire une grosse étude de marché pour décider de traverser l’Atlantique. Ce pays semblait bien convenir à nos produits premium mais je n’avais par contre aucune idée de la manière dont je pouvais m’implanter sur place. » Se faire connaître et trouver des clients dans une nation de 335 millions d’habitants située à sept heures de vol de son modeste atelier de fabrication perdu dans l’Ain pourrait donner des sueurs froides à n’importe quel patron de PME mais Bernard Reybier ne s’est pas découragé.
A ses débuts, l’entrepreneur tâtonne un peu. Après avoir en vain cherché des partenariats en Caroline du Nord, siège de la plupart des gros fabricants de meubles américains, c’est New York qui lui donne son vrai départ 1993. Cette année- là, la mairie de New York confie à une fondation la gestion de Bryant Park. Ce jardin public était alors surnommé « Needle Park » en raison de l’abondance des seringues laissées là par les junkies. Après un appel d’offre, la PME française reçoit une première commande de 300 chaises. Ce poumon vert de près de quatre hectares situé en plein cœur de Manhattan en abrite aujourd’hui plus de 3000 et est surnommé le « petit Luxembourg ».
Mais c’est une autre rencontre dans un salon professionnel qui permettra à Fermob de connaître un nouveau départ aux Etats- Unis. Leslie Thompson cherchait un modèle de chaises de bistrot à importer pour compléter les longues tables que sa société vendait sur le marché américain. « C’est en me promenant dans les allées de Maisons&Objet en 1998 que je suis tombé sur le stand de Fermob, se souvient-elle. Bernard était présent ce jour-là et je lui ai demandé s’il avait besoin d’un distributeur aux Etats-Unis. Il m’a dit que oui et nous avons commencé à discuter. J’ai alors pris le risque de lui commander 1000 pièces. A cette époque, personne n’avait vu de chaises à bistrot dans mon pays. Il a fallu du temps pour se faire connaître et j’ai dû attendre de nombreuses années avant de gagner de l’argent mais j’ai toujours cru dans les produits de la marque. » Leslie Thompson devient rapidement l’agent exclusif de Fermob sur le marché américain. Elle créé pour cela la société Fermob USA qui lui appartient. Le groupe français ne lui lâche pas la bride pour autant. « Nos commerciaux vont souvent sur place lors des salons notamment et je me déplace systématiquement pour toutes les étapes importantes de notre développement dans ce pays, explique le neveu de Michel Reybier qui a fait fortune dans l’agroalimentaire avec les marques Cochonou, Aoste et Justin Bridou. Nous envoyons parfois des salariés pour des missions plus ou moins longues là-bas et une employée au siège est dédiée au marché américain. Certains gros clients peuvent également être gérés de France ou des Etats-Unis en fonction de leurs demandes. C’est le cas notamment de Starbucks avec qui nous avons signé un contrat mondial. Les gens à l’extérieur pensent que Fermob USA est une filiale de notre groupe. Cela n’a de toute façon aucune importance car nous travaillons en parfaite collaboration. On les aide lorsqu’ils doivent investir et eux de leur côté nous permettent de nous développer sur ce marché qui représente 10% de nos revenus. »
Avoir un partenaire local est primordial selon l’entrepreneur qui a fait ses premiers pas dans la vie active en travaillant pour une PME de véhicules frigorifiques. Les différences culturelles sont en effet importantes entre ces deux pays. « Je les ressens tous les jours malgré nos 22 années de relations communes, s’amuse Leslie Thompson. Pour éviter les malentendus qui sont encore nombreux, j’explique toujours le contexte qui me pousse à prendre une décision plutôt qu’une autre. Sur les publicités de la marque par exemple, on voit surtout des jeunes européens blancs mais aux Etats-Unis, les distributeurs refusent d’afficher de telles photos pour ne froisser aucune communauté. Dans ma société qui compte vingt salariés, j’ai recruté des hommes, des femmes, des juniors, des vieux, des blancs, des noirs, des asiatiques, des hétérosexuels et des gays. J’ai donc demandé à Fermob de m’envoyer des photos pour nos supports marketing qui montrent uniquement nos produits. Une entreprise française qui n’aurait aucun employé américain ne penserait pas à prendre de telles précautions et elle passerait son temps à marcher sur des mines dont elle ignorait l’existence… »
La superficie de ce pays est un autre élément à ne pas négliger. « Nos meubles parcourent des distances énormes pour arriver chez le client, explique Leslie Thompson. Ils doivent, tout d’abord, traverser l’Atlantique par bateau et un tiers de nos commandes sont livrées en Californie. Or la distance entre les côtes est et ouest est supérieure à celle qui sépare la France et la Russie. » La taille de ce marché « représente des coûts, des risques et des délais qu’il faut prendre en compte », confirme Emilie Bozon, la responsable des ventes du groupe pour les Etats -Unis.
Ces particularismes locaux n’empêchent pas la maison- mère d’imposer ses idées dans certains domaines. « Nous mettons en place toute la politique marketing du groupe pour le monde entier, assure Bernard Reybier. Il a fallu trouver le bon moment pour dire à Leslie que nous souhaitions prendre ce dossier en main mais avec un peu de tact et de fermeté, nous sommes parvenus à dicter nos choix. » La patronne de Fermob USA ne s’en plaint pas aujourd’hui. « Je ne connais pas beaucoup de marques qui ont une distribution aussi multicanale, constate t-elle. Nous proposons nos produits en effet aux particuliers, aux architectes d’intérieur, aux distributeurs, aux vendeurs en ligne et aux clients professionnels comme les entreprises pour leurs sièges sociaux ou les propriétaires d’hôtels et de restaurants. Et bien Fermob a mis en place une politique de marketing et de pricing différente pour chacun de ces segments. Ils sont excellents dans ce domaine. »
Mettre en valeur ses racines hexagonales est un autre atout de taille. « Les Français ne soupçonnent pas l’incroyable bienveillance dont ils bénéficient à l’étranger, témoigne le PDG de ce groupe qui compte 400 salariés et a réalisé en 2020 un chiffre d’affaires de 76 millions d’euros. L’art de vie à la française, notre savoir-faire artisanal et notre design ont une extraordinaire notoriété à l’international. Nous avons également une histoire commune très riche avec les Etats-Unis. Aux XIXème siècle, Paris était la capitale du monde et elle a laissé sa place à New York. » Cette réputation a permis à l’ancien atelier de ferrage de chevaux de remporter quelques contrats très prestigieux outre-Atlantique. Les étudiants d’Harvard et de Stanford, les employés de Google et de Facebook dans la Silicon Valley et ceux de Coca-Cola à Atlanta, les 160 millions de personnes qui visitent chaque année Times Square peuvent tous s’asseoir sur des sièges produits dans l’Ain. « J’ai l’habitude de dire qu’il y a autant de sièges Fermob à New York que de taxis jaunes », certifie, avec un brin de fierté, l’entrepreneur soixantenaire. Et le meilleur reste à venir, selon lui. « Ce marché a encore un fort potentiel pour nous », assure l’homme d’affaires. « Nous devrions doubler nos revenus dans les cinq ou dix prochaines années », confirme Leslie Thompson.
Symbole de cette réussite, la marque a ouvert en 2017 un showroom dans le célèbre New York Design Center situé au 200 Lexington Avenue. Si le succès de Fermob aux Etats-Unis n’est plus à démontrer, son patron ne pense pas, pour autant, avoir trouvé la recette miracle pour percer sur ce marché. « Il n’y a pas de solution unique à privilégier dans ce pays, reconnaît-il. Tout dépend de vos ambitions et de vos réserves. Vous devez, en premier lieu, définir le niveau d’investissements que vous êtes prêts à déployer et vous engager sur le long terme. Notre développement a été très progressif. Comme nous partions de zéro, je n’ai pas voulu me lancer tout seul et c’est pour cela que j’ai choisi de m’adosser à un partenaire local. Au début, notre activité représentait 0% de ses revenus, puis 10% et aujourd’hui 90%. Nous avons grandi ensemble. Cette stratégie permettait de réduire les risques que nous prenions car ce marché n’est pas sans danger. Durant notre présence, le dollar est passé de 0,86 € à 1,40€. Il faut avoir les reins solides pour supporter de telles évolutions du taux de change. Les changements de tarifs douaniers peuvent aussi vous fragiliser tout comme les risques géopolitiques. Vous pouvez ainsi vous retrouver victime collatérale d’une guerre commerciale entre Boeing et Airbus ou entre Google et l’Union européenne. Il se passe constamment des imprévus qui viennent perturber vos projets. »
Le dernier événement inattendu en date a un nom que nous préférerions tous oublier : Covid-19. « Pendant le premier mois de confinement aux Etats- Unis, toute notre activité s’est arrêtée nette, note Leslie Thompson. Mais le business est vite revenu. L’an dernier, notre activité a été stable mais 2021 promet d’être une très, très bonne année. Nos ventes en janvier étaient deux fois supérieures à celles de l’exercice précédent et à la troisième semaine du mois de mars, j’avais déjà atteint 51% de mes objectifs annuels. » Copier peut parfois rapporter gros, très gros…
Cet article est le premier de la nouvelle aventure de French Morning: French Morning Business. Notre ambition est de créer un site à l’intention des dirigeant.e.s d’entreprises françaises, pour les informer au mieux sur ce qu’il faut savoir quand on veut exporter ou s’implanter à l’étranger, partout dans le monde. Notre offre va s’étoffer au fil des semaines et mois. Nous commençons avec une série, “Case studies”, qui raconte dans le détail le parcours d’entreprises françaises de toutes tailles aux Etats-Unis.
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