Bruno Le Maire était venu à Washington pour parler finances mondiales, à l’occasion des réunions du FMI et de la Banque Mondiale. Il y aura finalement beaucoup évoqué le sort des vignerons français… “Il y a un désaccord dans l’aéronautique et on frappe les vignerons! C’est inefficace et profondément injuste”, a insisté le ministre français de l’économie devant des journalistes français vendredi matin, avant de demander aux autorités américaines de revenir sur ces sanctions.
Un plaidoyer vain pour l’heure: le même jour, les sanctions décidées par la Maison Blanche contre plusieurs industries européennes entraient en vigueur. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a autorisé au début du mois les Etats-Unis à imposer des taxes à hauteur de 7,5 milliards de dollars, en représailles contre les aides publiques européennes accordées par les pays européens à Airbus. Devant la levée de boucliers des compagnies aériennes américaines, qui soutenaient Airbus, et craignaient de voir les prix des avions augmenter, l’administration américaine a limité à 10% les droits de douane sur les avions, choisissant plutôt de taper fort avec une taxe de 25% sur des produits traditionnels de chaque pays européen concerné: le vin français, l’huile d’olive espagnole, le parmesan italien, le whisky britannique, les outils allemands, etc… La liste officielle des biens visés s’étire sur quelque 20 pages.
Bruno Le Maire veut pourtant croire encore à un règlement à l’amiable. “Si nous ne parvenons pas à une solution négociée, nous allons entrer dans une logique de riposte”. L’Union européenne a en effet de son côté porté plainte devant l’OMC contre les subventions américaines à Boeing et s’attend à recevoir la même autorisation de riposte dans quelques mois. “Mais ce n’est l’intérêt de personne d’ajouter une nouvelle guerre commerciale à celle que les Etats-Unis mènent déjà contre la Chine, et qui nuit à la croissance mondiale”, a ajouté le ministre. Les services de Bercy ont calculé que les nouveaux droits de douane pourraient coûter jusqu’à 300 millions d’euros à la filière hexagonale en 2020, sur un chiffre d’affaires d’environ un milliard d’euros de vins français vendus chaque année aux Etats-Unis.
Chez les producteurs et importateurs français, on est pourtant encore loin de la panique. Ce calme est fruit de l’expérience pour certains: “j’ai connu ça en 1991, quand les Américains ont subitement augmenté les taxes de 100%. Nous n’avons rien importé pendant deux mois, mais ça s’est très vite réglé”, se souvient Patrick Baugier de Chevestre, propriétaire de Metrowine, un des principaux distributeurs de vins de Bordeaux aux Etats-Unis. Comme beaucoup de ses confrères, il espère que la hache de guerre soit rapidement enterrée, notamment face aux menaces européennes de mesures de rétorsions.
De l’autre côté de l’Atlantique, en Bourgogne, Louis Moreau, exploitant, voit les prochains mois avec inquiétude et s’attend à perdre 20% de son business avec les Etats-Unis, où part d’ordinaire 8% de sa production. “Ca n’a aucun sens, dit-il. On prend en otage les producteurs pour un désaccord auquel on ne peut rien”. D’autres prédisent une chute plus brutale encore, comme Antoine Leccia, président de la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux de France (FEVS) qui dit “craindre une baisse des ventes de l’ordre de 50%”.
Mais les dégâts économiques risquent de se faire ressentir également aux Etats-Unis. Plusieurs organisations professionnelles américaines se sont ainsi jointes vendredi à leurs homologues européennes pour condamner de concert les taxes américaines et appelent à “mettre fin immédiatement à toutes les taxes” (depuis l’an dernier, les whiskies américaines sont taxés à 25 % en Europe, en rétorsion contre les taxes sur l’acier décidées alors par Donald Trump). “Les secteurs du vin européen et américain étant interconnectés, ajoute le communiqué des organisations, ces taxes américaines pourraient se traduire par la perte de 8 000 emplois aux Etats-Unis, chez les importateurs, distributeurs…”
Malgré toutes ces inquiétudes, la plupart des acteurs français du secteur n’ont pas l’intention de réduire la voilure aux Etats-Unis. Ce n’est en tout cas pas l’intention de Gérard Bertrand, viticulteur bien connu du Languedoc. Les vents contraires ne l’ont pas dissuadé de célébrer cette semaine sur un rooftop new-yorkais le lancement sur le marché américain de la dernière-née de ses marques de vins bios, Naturae. Pour lui, l’important est “le goût naissant du public américain, et notamment des sommeliers et restaurateurs, pour les vins naturels et les vins bios. C’est le bon moment pour se lancer sur ce secteur maintenant”. Le marché américain est le premier marché à l’export de Gérard Bertrand et plutôt que de chambouler ses plans, il préfère “voir ce qui va se passer dans les prochains mois (…). Nous allons probablement soutenir nos distributeurs en baissant nos prix pour leur permettre de passer ce moment difficile, en espérant qu’il dure le moins longtemps possible”.