À lui seul, le nom évoque la puissante magie des fifties américaines : les somptueuses Plymouth Fury de Chrysler, le galbe unique des Buick Skylark de l’ère Eisenhower, humblement garées sous l’écran colossal voué aux divinités John Wayne et Maureen Ohara. Les drive-in, donnés pour morts depuis des décennies pour cause d’essor de la télévision et des salles multiplex, ont pourtant connu leur renaissance pendant les deux années de pandémie car ils offraient une rare occasion de sortie, protégée du virus par l’habitacle des voitures.
Mais surprise : ces trésors rétro sont restés ouverts malgré le recul du Covid et valent quelques détours, autant de voyages dans le temps pittoresques, durant les week-ends d’été. Sur les quelques 350 cinémas de ce genre en service aux États-Unis, plus d’une dizaine sont accessibles dans un rayon de deux heures de route depuis New York. À Brooklyn, Skyline Drive, au bord de l’East River, offre des block busters comme « Thor » et des couchers de soleil sidérants sur Manhattan. Mais tant qu’à prendre une voiture, pourquoi ne pas s’enfoncer dans l’authentique « Americana » de la Vallée de l’Hudson, et rallier Hyde Park, au niveau de Poughkeepsie, à une heure et demie de New York, pour savourer la splendeur de l’original ?
En 1950, Sidney et Ida Cohen, propriétaires d’une salle de spectacle locale, avaient décidé d’ouvrir le Hyde Park Drive-in Theater. Cinq ans plus tard, vu le succès de leur premier cinoche en plein air, ils en inauguraient un autre à quelques kilomètres, le Overlook Drive-in à Poughkeepsie. Tous deux existent toujours, gérés par des descendants des fondateurs, avec leurs écrans hauts de 25 mètres dominant des terrains de plusieurs hectares capables d’accueillir près de 700 voitures, leurs concessions d’époque pour les hamburgers et les popcorns, tenues par des « locaux » enthousiastes. Ces reliques s’accordent avec d’autres chefs d’œuvres retro des environs, comme l’insolite restaurant diner Eveready de Hyde Park, inchangé depuis la fin des années 40, voisin du Hyde Park Roller Magic, une piste couverte de patins à roulettes connue comme l’un des premiers temples du Roller Disco des années 70.
Poursuivez la route vers le nord de l’État de New York, vers Amenia, Middletown, Greeneville ou Cocksackie, dont le Highway Drive-In, ouvert en 1951, propose quatre écrans offrant chacun deux films chaque soir, et vous apprécierez les déclinaisons d’un concept vieux de 90 ans. Les premiers drive-in avaient été improvisés au temps du cinéma muet, mais le modèle encore utilisé aujourd’hui a été inventé, et breveté en 1932, par un entrepreneur de la petite ville de Camden, New Jersey.
Richard Hollingshead se désolait de ne pouvoir emmener sa mère au cinéma. Cette dernière, un peu trop enrobée, redoutait l’inconfort des sièges trop étroits. Son fils attentionné lui offrait des projections privées sur un grand écran tendu entre deux arbres de sa propriété, quand un jour, las de déplacer les fauteuils de jardin pour leur divertissement improvisé, Hollingshead a eu l’idée d’installer maman sur la grande banquette avant de sa voiture. Eureka. L’ingénieur, entrevoyant une révolution du show business, a expérimenté diverses tailles d’écran, étudié l’emplacement idéal d’un gros projecteur Kodak, et surtout, les plans de stationnement des voitures assurant à leurs occupants un champ de vision ininterrompu, ainsi que le tracé des allées permettant aux automobilistes de se garer ou de quitter les lieux sans déranger les autres spectateurs.
Son drive-in, dûment breveté et ouvert en 1933 près de Camden, n’a pourtant pas fait recette. Pire : après avoir vendu son invention à la chaîne de cinémas Lowe pendant les années 40, Hollingshead a découvert que son brevet n’était pas valide. Juste au moment, à l’orée des années 50, où l’explosion des ventes de voitures, la ruée des citadins vers les nouvelles banlieues résidentielles, et le bas prix des terrains contribuaient enfin au succès du spectacle en plein air. La légende convoque le cliché des frasques d’adolescents sur les banquettes arrière.
Mais en vérité, le drive-in incarnait la quintessence des valeurs familiales, le loisir rêvé des foyers du Baby-boom, puisqu’il permettait d’y emmener les enfants en bas âge trop bruyants pour être admis dans les cinémas classiques. La cellule familiale, son intimité protégée par l’habitacle de la voiture, pouvait se transposer en quelques minutes, en l’état, en bigoudis, en shorts, avec une marmaille en pyjamas, et sans besoin de couteux baby-sitters, sur les lieux d’un divertissement abordable. La technologie aussi avait évolué. Le désagréable décalage de l’image et du son, que percevaient les derniers rangs de spectateurs dans les premiers drive-in des années 30, avait été résolu par la distribution de petits hauts parleurs accrochés aux vitres entrouvertes des voitures.
Le drive-in reprend du service aujourd’hui, mais il accuse un peu son âge. D’où quelques mises en garde : les spectateurs entendent les dialogues sur une fréquence de la radio de bord, mais la plupart des voitures sont équipées d’économiseurs de batterie qui obligent à rallumer le contact toutes les vingt minutes. Mieux vaut apporter sa propre « Boom Box » autonome, et admettre, surtout, que, sauf rare exception, regarder un film par le parebrise d’une auto standard actuelle n’a rien d’exaltant. Un conseil : suivez l’exemple des habitués, et optez pour l’option pique-nique avec spray anti-moustique et chaises pliantes sur l’herbe de votre emplacement, en casant les jeunes enfants, pour leur plus grand bonheur, sur des piles de coussins dans le coffre arrière du SUV. Le spectacle aussi est dans la « salle », le grand espace sous la lune, peuplé pour un soir de dizaines de petits clans d’Américains ruraux rassemblés devant l’écran immense. L’éternel esprit drive-in.
La liste des meilleurs Drive-In de « Upstate New York » établie par l’excellent magazine Hudson Valley News. Et quelques destinations dans Thrilllist et NYMetroParents.