“Quand on est Breton, on regarde en face et on voit New York”, commente Jacques Barreau. Le Morlaisien est à l’origine, avec son frère jumeau Olivier, de l’extraordinaire aventure Grain de Sail, une initiative qui vise à relancer le transport de marchandises à la voile entre les deux rives de l’Atlantique. Parti de Bretagne le 18 novembre, le premier voilier à effectuer la traversée doit arriver au Brooklyn Navy Yard le lundi 14 décembre, chargé de 14 500 bouteilles de vins français bio pour des cavistes et restaurateurs new-yorkais. Cela faisait depuis les années 1950 qu’un voilier-cargo n’avait pas été mis à la mer. “C’était difficile de faire comprendre ce projet atypique, mais une fois que les gens ont vu le bateau, ils ont compris“, explique Jacques Barreau, le directeur général de Grain de Sail – Olivier Barreau en est l’actionnaire majoritaire.
Grain de Sail a été imaginé en 2010, quand les deux frères descendants d’armateurs, qui travaillaient sur un projet lié aux énergies maritimes renouvelables, se sont intéressés “à la possibilité de décarboner le transport maritime”. “Nous sommes rapidement arrivés sur des solutions de type voilier-cargo, se souvient Jacques Barreau. Nous n’étions pas intéressés d’exploiter des vieux gréements. Nous voulions donner un coup de jeune à ce milieu“. Construire des voiliers, certes, mais que mettre dedans ? Ils s’arrêtent sur le cacao et le café – des “produits orientés plaisir“. Grain de Sail commence donc à produire son café en 2013 à Morlaix, puis vient le chocolat en 2016. “On est parti de zéro. On n’y connaissait rien”, glisse l’entrepreneur.
Disponibles dans plusieurs centaines de points de vente dans le Grand Ouest français, les cafés et chocolats Grain de Sail rencontrent un succès important, ce qui permet à la PME bretonne de financer, en 2018, la construction de son premier voilier, un deux-mâts de 22 mètres conçu pour transporter 50 tonnes de marchandises avec une empreinte carbone minime (son moteur n’est utilisé que pour manoeuvrer dans les ports). Inauguré en octobre à Lorient, le navire doit décharger ses bouteilles de vin à New York avant de gagner la République dominicaine, où il doit faire le plein de 33 tonnes de cacao notamment. Celui-ci sera ensuite transporté à Morlaix pour être transformé en chocolat. “Nous voulions éviter de nous positionner en transporteur simple. Nous voulions aussi être transformateurs de produits. Cela nous permet de ne pas être dépendants d’un client“, poursuit Jacques Barreau.
L’escale à New York était inscrite dans le projet “dès le départ”. “Les cafés et le cacao qui nous intéressaient étaient en Amérique latine. Il fallait traverser l’Atlantique. La transat’ est un symbole très fort“. Le voilier, baptisé Grain de Sail, restera à New York pendant “une dizaine de jours” et pourra accueillir, sur réservation, des petits groupes de visiteurs dans le respect des restrictions sanitaires. Grain de Sel effectuera, à terme, deux rotations transatlantiques par an. Ce premier navire sera rejoint par d’autres voiliers, qui doivent encore être construits, pour constituer une véritable flotte transportant épices, fèves de cacao et d’autres matières premières. “Dans les dix années qui viennent, on voudrait développer la torréfaction, couplée avec les navires, sur le territoire européen et la Côte Est des États-Unis, indique Jacques Barreau. Nous sommes rattrapés par le désastre environnemental. On essaie de montrer qu’une autre voie est possible. Cela ne passera pas uniquement pas la voile. Il faudra aussi compter sur des moteurs hydrogènes et d’autres solutions décarbonées“.