Brooklyn se vend bien. Il suffit pour s’en rendre compte de se pencher sur le succès fulgurant de la marque de vêtements Brooklyn Industries, qui compte aujourd’hui 14 boutiques, à New York, mais aussi à Chicago, Portland et Philadelphie. Mais l’engouement ne se limite pas aux penderies, il est aussi dans les assiettes et les verres. Le label “made in Brooklyn” s’est peu à peu imposé comme un gage de qualité, voire d’éthique et de responsabilité environnementale, d’abord plébiscité par les Brooklynites eux-même.
De ce côté de l’East River, les adeptes de produits locaux n’ont que l’embarras du choix : les cornichons McClure’s, le chocolat Mast Brothers, le beurre Butter Queen of Brooklyn, sans oublier les sodas Brooklyn Soda Works. Reste que les consommateurs seront parfois déçus de découvrir que, loin d’être « made in Brooklyn », les vêtements de Brooklyn Industries sont fabriqués en majeure partie au Pérou et en Chine où les coûts de production sont moins élevés. Même les confitures de la petite entreprise Anarchy in the Jar ne sont pas « 100% locales » – sa fondatrice Laena McCarthy est la première à le reconnaître.
Tendance
C’est auprès de sa mère qu’elle a appris à faire la confiture. Et lorsqu’elle décide d’en faire son métier en 2009, elle choisit d’établir sa cuisine industrielle dans le quartier de Greenpoint à Brooklyn. « Je fais partie de cette génération, frappée par la crise économique de 2008, qui doit créer ses propres jobs », explique l’entrepreneuse. « Et Manhattan, c’est trop cher », ajoute-t-elle, avant de reconnaître que Brooklyn est devenu « une marque branchée, qu’il est intéressant de vendre ».
Une tendance récente que le célèbre graphiste américain Milton Graser avait anticipée dès la fin des années 80. Lorsque Steve Hindi vient le trouver pour qu’il conçoive le logo de sa brasserie, la désormais fameuse Brooklyn Brewery, le graphiste aurait en effet été catégorique : « La meilleure chose que vous ayez c’est votre nom : Brooklyn a une image et une identité qui lui sont propres ». D’où un logo épuré qui met en valeur le B de Brooklyn, encadré par deux pois jaunes censés rappeler les phares du train que les New-Yorkais prennent pour aller d’un borough à l’autre.
A double tranchant
La fondatrice de Brooklyn Industries, Lexy Funk, nuance néanmoins l’impact positif du nom de sa marque sur la perception de ses vêtements. « C’est à double tranchant », dit-elle, « sur la côte ouest et en Europe, vous êtes cool parce qu’exotiques, mais sur la côte est, en dehors de New York, vous êtes seulement prétentieux : à Philadelphie, on pense qu’on n’a pas besoin de Brooklyn pour être cool ». Il est donc parfois délicat d’exporter une stratégie marketing, parfaitement adaptée à la clientèle locale. « Les Brooklynites revendiquent depuis le milieu du XVIIe siècle une identité forte, construite à la fois sur la proximité et la différenciation par rapport Manhattan », souligne en effet Julie Golia, historienne au Brooklyn Historical Society.
Deuxième fournisseur en produits agricoles du pays jusqu’à la fin du XIXe siècle, Brooklyn a vu disparaître ses dernières fermes dans les années 20 et s’est massivement désindustrialisé dans la période de l’après-guerre. L’heure de la revanche aurait-elle sonné ? « Les jeunes entrepreneurs comme moi veulent lui rendre un peu de la gloire de son passé industriel, artisanal et agricole », affirme McCarty. L’historienne tempère : « la revitalisation économique et le phénomène très médiatisé de la boboisation ne concernent en fait qu’une minorité des quartiers de Brooklyn », pourtant consacrée « ville la plus cool du monde » par le magazine masculin GQ en novembre 2011.