La pêche aux 500 signatures ne se pratique pas qu’en France cette année. À New York aussi. Grâce à son équipe de volontaires, six femmes « incroyables », Layla Law-Gisiko espère bien faire le plein de signatures des électeurs démocrates de son district à Manhattan, le n°75, qui regroupe les quartiers de Chelsea et de Hell’s Kitchen. Cette Française de 50 ans, « Parisienne obstinée » comme la désigne le New York Post, brigue l’investiture de la primaire démocrate pour l’assemblée de l’État de New York. Si elle est investie le 28 juin prochain, puis élue le 8 novembre lors du scrutin général, elle siégera aux côtés des 149 autres représentants de la chambre à Albany.
« J’ai une position très ferme sur l’anti-développement immobilier anarchique pour que le quartier reste habitable », affirme la candidate qui n’a rien perdu de son français en 25 ans de vie aux États-Unis. Très impliquée dans les questions d’urbanisme et membre, depuis 17 ans, de son community board – sorte de comité de quartier au rôle consultatif important auprès des élus de la ville – elle veille à ce que les projets immobiliers ne défigurent pas le cœur de Manhattan. Son community board s’étend de la 14e St. à la 59e St., et de Lexington Ave. à la 8e Ave. Une zone très vaste où les enjeux financiers sont de taille avec les deux grandes gares de New York dont Penn Station – la plus fréquentée du continent américain – et Midtown, où l’immobilier reste un secteur puissant.
C’est le bruit de son quartier, celui de Flatiron, qui a décidée l’ancienne journaliste à descendre dans l’arène politique. « J’avais deux jeunes enfants qui se réveillaient au milieu de la nuit parce que les discothèques faisaient trop de bruit, les voitures s’arrêtaient et bloquaient la circulation, les gens klaxonnaient. C’était vraiment très pénible, explique-t-elle. Je ne savais pas trop quoi faire. » Elle découvre alors l’existence des community boards. Il y en a 59 à New York, dont 12 à Manhattan. C’est là que les résidents viennent présenter leurs doléances ou discuter d’un projet. « En 2005, je suis allée à l’une des réunions publiques, on m’a dit que je pouvais parler deux minutes pour expliquer au board mes déboires. J’ai vu tous ces gens me regarder avec un air modérément concerné. » Elle comprend alors que la seule façon de faire bouger les choses, c’est d’intégrer le board.
« J’ai envoyé ma candidature et, de façon assez surprenante, j’ai été appelée quasiment immédiatement », s’étonne-t-elle encore. J’ai trouvé ça passionnant. New York est en train de devenir une ville gracieusement vieille. Malheureusement il y a énormément d’immeubles qui auraient dû être préservés et qui ne l’ont pas été. Ceux qui l’ont été possèdent une authenticité et un charme qu’il faut préserver. » Devenue rapidement membre du comité du patrimoine de son community board, elle est aujourd’hui Présidente du comité de l’urbanisme – le plus important avec celui des transports.
Durant toutes ces années, elle ne s’est pas faite que des amis. Elle s’est notamment opposée au projet de construction de dix gratte-ciel autour de Penn Station que poussait, jusqu’à sa démission l’an dernier, le gouverneur Andrew Cuomo, et soutenu depuis par celle qui lui a succédé à la tête de l’État, Kathy Hochul. « Andrew Cuomo veut exproprier neuf blocks autour de Penn Station pour les donner à son camarade Steve Roth, – promoteur immobilier, président-fondateur de Vornado Realty Trust. Tout ça de façon opaque, dans la magouille, sans appel d’offres », accuse la candidate engagée. « J’ai œuvré un peu comme le shérif, sans en avoir les moyens. Mais c’est de la pure corruption, ça doit être stoppé. »
Une sacrée audace pour la Française qui ne fait pas partie du système. « C’est justement plus facile pour moi de dénoncer le système du fait que je n’en fais pas partie. Je n’ai pas passé mes dimanches avec ces gens-là. » Le combat de David contre Goliath à New York mais Layla Law-Gisiko arrive malgré tout à se faire entendre grâce, dit-elle, à son sens de l’organisation. « C’est très américain. Organiser c’est créer des coalitions, créer des mouvements de soutien à une cause particulière qui viennent d’horizons différents. C’est ce que je sais faire. » Elle a contacté la Municipal Art Society, mobilisé les commerçants du quartier et une association d’aide au logement pour dénoncer le manque de logements sociaux ou temporaires pour les sans-abris. « C’est un pas après l’autre », reconnaît-elle.
Elle n’est pas opposée à tous les projets immobiliers pour autant, mais les négocie, comme ce fut le cas pour l’aménagement du quartier de Grand Central. L’idée était d’autoriser la construction d’immeubles un peu plus hauts en échange d’un programme de préservation du patrimoine plus stricte et de développement des infrastructures autour de la gare – rénover notamment le sytème du métro pour faire rouler davantage de rames et décongestionner les quais. « Ça nous a pris cinq ans de négociations mais nous avons eu gain de cause. »
Aujourd’hui, Layla Law-Gisiko découvre la vie de campagne : les levées de fonds – elle espère lever 150 000 à 200 000 dollars – après avoir fait le serment de ne pas recevoir d’argent des promoteurs immobiliers; les appels aux syndicats pour leur demander de la soutenir – « et ils sont très puissants à New York, avec un rôle politique très important, leur soutien est indispensable », précise-t-elle, assurée de ne pouvoir compter sur celui de la construction. Elle a en revanche déjà obtenu le soutien d’un club de démocrates de Chelsea, ce qui lui permet d’intégrer la liste des signatures de deux représentants new-yorkais au Congrès américain, Carolyn Maloney et Jerrold Nadler. L’assurance, à priori, d’obtenir les 500 signatures nécessaires pour être on the ballot aux primaires démocrates de juin.
Malgré les obstacles et la dureté du monde politique new-yorkais, Layla Law-Gisiko ne regrette absolument pas s’être lancée dans la course. Elle conseille même l’expérience de l’engagement local. « Il ne faut pas hésiter une seconde. J’ai tellement appris à réfléchir à toutes ces questions de vie de quartier, à négocier, à convaincre et d’une façon tellement passionnante ! Foncez dans votre community board, c’est la meilleure école. »