“Quand le chef a l’intention de prendre soin de vous, de votre carrière, il le fait bien”. Le “chef” dont parle Laëtitia Rouabah, c’est Alain Ducasse, son mentor.
A 34 ans, la chef est la protégée du chef étoilé. Après avoir multiplié les postes dans les restaurants d’Alain Ducasse, elle a succédé en septembre 2016 au chef Philippe Bertineau aux commandes de la cuisine de Benoît à New York. Une belle promotion pour cette bosseuse auto-proclamée, discrète, souvent décrite comme une “étoile montante” ou un “bébé Ducasse”. “Le chef était là dans les moments durs de la vie. Il nous donne tellement pour qu’on y arrive. J’ai un profond respect pour lui.”
Laëtitia Rouabah participera le mercredi 31 janvier à la série Chefs du 934, un dîner qui se tient deux fois par an au consulat autour de chefs français. Pour la première fois, deux femmes seront mises à l’honneur pendant cette soirée gastronomique – la vigneronne Yasmina Asseily sera la seconde invitée.
Laëtitia Rouabah est tombée dans la marmite très jeune. “On ne mangeait pas à la cantine. Ma mère cuisinait très tôt le matin pour le déjeuner. Quand on se levait avec l’odeur du thym et de l’ail, on avait déjà envie de manger“, se souvient-elle.
Diplômée du Centre de Formation des Apprentis (CFA) de Versailles, elle rejoint l’empire Ducasse en 2004, recrutée dans les cuisines de Plaza Athénée, où elle se hisse jusqu’au poste de chef de parti. Poste qu’elle occupe à partir de 2007 au restaurant d’Alain Ducasse au Dorchester à Londres. Au bout d’un an, “je me demandais ce que j’allais faire. Alain Ducasse m’a proposé la Tour Eiffel“.
Par “Tour Eiffel”, comprenez le Jules Vernes, le restaurant étoilé du chef français au deuxième étage du monument. C’est une école de la contrainte. Une chambre froide plus petite que dans les restaurants traditionnels, pas de gaz, brigade importante dans une cuisine peu spacieuse, deuxième cuisine sous le Champ de Mars: propulsée chef adjointe, Laëtitia Rouabah est responsable de “60 cuisiniers et 40 serveurs“. Elle passe six ans là-bas. “C’était prenant. Ce n’était pas possible de faire les choses à moitié. D’ailleurs, quand on travaille pour Alain Ducasse, on ne s’autorise pas à faire les choses à moitié“.
Après trois ans dans le célèbre bistrot parisien Allard, dirigé historiquement par des femmes, elle gagne New York en 2016. “Dans un coin de la tête, tout le monde a le rêve américain“. Chez Benoît, elle doit réinventer le menu d’un restaurant qui cherche à dépoussierer son image, à l’heure où New York connaît un boom de restaurants français. L’adresse de Midtown, à laquelle le New York Times a donné deux étoiles sous Philippe Bertineau, a été entièrement rénovée juste avant l’arrivée de la chef et d’une nouvelle équipe. “Il fallait que je fasse une nourriture à la hauteur du nouveau restaurant, résume-t-elle. Je travaillais 14 heures par jour. On arrivait très tôt le matin et on repartait très tard le soir. On ne voyait pas beaucoup le soleil”.
A-t-elle senti qu’elle devait travailler deux fois plus en tant que femme pour se faire accepter dans ce milieu très masculin ? “Je n’ai jamais été confrontée à la discrimination. Au contraire, j’ai été beaucoup aidée, affirme-t-elle. Dans ce milieu, les hommes comme les femmes doivent montrer ce qu’ils savent faire. Si on veut réussir dans ce métier, c’est par le travail“.
En 2018, Benoît fêtera ses dix ans par une série d’événements étalés sur plusieurs mois. “On a fait une très belle année. On est content de ce qu’on donne aux clients, on a de plus en plus d’habitués, se félicite-t-elle. Je suis très contente de ce qu’on a accompli. Mais ce n’est pas fini“.