« C’est comme si je travaillais sur le continent sauf que c’est un lieu paradisiaque avec la mer, la nature, une belle végétation… Et que pendant les réunions mes collègues savaient que j’étais là parce qu’ils entendaient les oiseaux chanter derrière. » Paul Fruhauf software architect dans le paiement mobile à Sunnyvale a passé deux mois à Hawaï cet été. Propriétaire sur l’une des îles, il n’a pas hésité : « à cause de la Covid je n’arrivais plus à louer, donc j’y suis allé ». Comme lui, de nombreux jeunes professionnels de la Silicon Valley ont récemment changé de mode de vie.
Rémy V. et Agathe K. tirent également parti de cette institutionnalisation du télétravail dans la baie depuis le début de la pandémie. Ils sont employés dans des entreprises technologiques américaines, elle côté business, lui en tant qu’ingénieur. « Quand le confinement s’est prolongé dans le temps on s’est dit : au lieu de payer notre loyer, pourquoi ne pas prendre des Airbnb et voir du pays ? »
Depuis qu’ils ont quitté leur appartement à San Francisco, ils ont « un sac de vêtements chacun pour tenir au moins quinze jours, une voiture avec le kitesurf, le paddle etc. pour les activités du weekend, et puis les écrans d’ordinateurs, rallonges, multiprises pour être performant la semaine. Tout le reste est dans un garde-meubles ». Le lac Tahoe, Hood River dans l’Oregon, Washougal dans l’Etat de Washington, la Polynésie française… Le jeune couple a beaucoup voyagé, se faisant tester régulièrement pour ne pas propager le coronavirus.
Pour choisir la destination, les infrastructures sont clefs. « Il faut un wifi rapide, pour nous c’est le premier critère pour bien bosser. On évite les endroits trop reculés, on vise les petites villes proches de la nature mais pas trop isolées ». Nouvellement nomades, Agathe K. et Rémy V. n’en restent pas moins des professionnels assidus. « On fait en sorte que ce ne soit pas du tout gênant pour notre métier, on reste dans le même fuseau horaire que San Francisco et on a toujours au moins deux salles pour que chacun puisse prendre ses appels sans déranger l’autre. »
Car travailler à distance, dans un cadre idyllique, ne veut pas dire ne pas être efficace. Elias Chedid, Senior Data analyst chez Shipt, l’a bien compris et en a convaincu ses amis. « Au début les gens ne voulaient pas, ils avaient peur que cela ne fasse pas sérieux », se rappelle-t-il. « Alors que quand tout le monde travaille c’est comme être au bureau et avoir des collègues », explique le jeune ingénieur. Ce dernier a gardé sa chambre (et son chat) à San Francisco, mais part très souvent en groupe.
« La première fois c’était la semaine de Memorial Day, on était 16 à télétravailler du lac Tahoe. Et à partir de là on a commencé à s’organiser pour le faire régulièrement : 4 jours à San Luis Obispo, 2 semaines en Utah, et puis 2 semaines à Tahiti à 12 » dont il revient tout juste, à regret. « Cette fois j’étais en congé mais si on me garantit une bonne connexion internet à Moorea, j’y retourne directement et pour plus longtemps », précise-t-il.
Difficile de dire précisément combien ont choisi ce mode de vie, mais le mouvement est réel . La baisse conséquente des loyers à San Francisco en est révélatrice. D’après un rapport de Realtor.com cette chute qui concerne les baux des studios, 2 et 3-pièces, est la plus importante des États-Unis. Pour tous ces jeunes de la tech, c’est surtout « l’occasion ou jamais » de vivre une nouvelle expérience. Pouvoir après une journée de dur labeur, partir en randonnée, surfer, kiter, ou plonger par exemple. Certains ont choisi cette routine pour un temps, d’autres indéfiniment.
Agathe K. et Rémy V. partent pour 3 à 6 mois peut-être 9 mois, voire plus. « Ce n’est pas un rejet de San Francisco. Mais on est contents de pouvoir profiter de cette liberté qui est assez rare, pendant cette période où tellement d’autres libertés sont restreintes. » Paul Fruhauf est revenu en attendant la naissance de sa petite fille. « Une fois qu’elle sera là on a le projet de s’installer à Maui pour de bon, et je garderai mon job dans la baie tout en étant là-bas à plein temps ». Et Elias Chedid pense s’échapper quelques jours au moins tous les deux mois. Il envisage aussi de s’installer à New York l’an prochain, sans changer de carrière.