Les rideaux rouges vont bientôt se refermer pour ne plus jamais se rouvrir. Sleep No More, le spectacle de théâtre immersif qui a popularisé le genre depuis sa création en 2011, va bientôt fermer ses portes. Initialement annoncée pour fin janvier, puis mars, puis fin avril, l’arrêt de cette « expérience » pas comme les autres a finalement été repoussé au 27 mai. Depuis les premières rumeurs de fermeture en début d’année, les réservations ont en effet explosé, malgré le prix des billets (160$ la place, tickets ici), incitant les organisateurs à prolonger un peu la fête.
« On approche de la fin, on ne sait pas vraiment à quel moment précisément, mais on s’en approche », confie Ilana Gilovich, la responsable de la scénarisation chez Emursive, la société qui produit le show. « Les coûts de production ont fortement augmenté, puisque chaque représentation demande un très grand nombre de personnes présentes sur place chaque soir, explique-t-elle. Et le show n’était pas imaginé pour durer éternellement. »
Pour ceux qui seraient passés à côté du phénomène, Sleep No More, c’est ce spectacle qui ne ressemble pas à un spectacle. Le public, masqué, est invité à déambuler dans les nombreuses pièces sombres de cet immense loft de cinq étages et de plus de 9000m2 du quartier de Chelsea à New York. Les spectateurs assistent de près ou de loin à des scènes jouées par des acteurs qui donnent comme jamais de leur personne. Les scènes sont crues, inattendues, on y voit des corps nus, on s’y sent à la fois voyeur et spectateur.
« Il y a plusieurs influences, décrit Ilana Gilovich. L’histoire principale est celle de Macbeth, de Shakespeare. Mais elle est racontée à travers l’influence des films noirs, notamment d’Hitchcock, comme « Vertigo », « Psycho », « Suspicions », ou encore de Stanley Kubrick. La dernière influence est la vraie histoire des derniers procès et des dernières exécutions publiques de sorcières en Écosse dans les années 1680. Mais il y a des variations : vous pouvez venir voir le show à de multiples reprises mais voir toujours des choses différentes. »
Ce ballet décadent fait passer les spectateurs dans plus de 90 espaces sombres et discrets, d’une petite chapelle à une vaste salle de bal, ou encore des ruines de briques et des salles d’hôpital.
Lors de sa création en 2011, Sleep No More a suscité un attrait immédiat auprès des New-Yorkais. Un peu fatigués des spectacles traditionnels, des 2 heures assis sagement dans des sièges en velours, la représentation dépoussiérait le genre en même temps qu’il en inventait, ou en tout cas en popularisait, un nouveau. Le succès a été au rendez-vous, au point de donner naissance à une nouvelle forme de show : les expériences immersives. Le thème est aujourd’hui assez largement exploré dans le monde du divertissement mais il y a une décennie de cela, il semblait provocateur et disruptif.
« Felix Barrett, qui a créé le show, a toujours dit qu’il aimerait que les gens, après avoir quitté Sleep No More, ne disent pas “voilà ce que j’ai vu la nuit dernière“, mais plutôt : “voilà ce qui m’est arrivé”, relève Ilana Gilovich. Le public est acteur du show. Le masque que chaque spectateur porte permet d’être anonyme et de suivre ses instincts, de se sentir invisible. Lorsque les acteurs prennent un spectateur à part et lèvent le masque, ce moment peut être assez surprenant. Ceux qui aiment le show apprécient particulièrement le fait de vivre et d’expérimenter un moment assez intime. »
Tout succès a son revers, et cette énorme production a fini par épuiser les organisateurs. Fruit d’une collaboration entre la société Emursive, la troupe britannique Punchdrunk et le McKittrick Hotel où il prend place, le spectacle nécessitait une très large troupe d’actrices et d’acteurs, et de très lourdes préparations. Les réservations, surtout tard en semaine, n’étaient pas toujours au rendez-vous, entamant la rentabilité du spectacle.
Depuis sa création, la troupe aura joué plus de 5000 représentations à New York devant plus de 2 millions de personnes. Certains y ont même assisté à plusieurs reprises. Le show est en tout cas au remède au FOMO (Fear Of Missing Out, la peur de rater quelque chose), car il est impossible de tout y voir, puisque des scènes se déroulent au même moment à différents endroits. « Beaucoup n’aiment pas le show à cause de cette FOMO expérience, reconnaît Ilana Gilovich. Ils sont déçus que quelque chose soit arrivé à leur proche et pas à eux, un peu comme à Burning Man. Mais c’est une des bases de Sleep No More. C’est très rare d’avoir trois heures sans son téléphone, connecté au moment présent et à son corps. »
Aucune visite n’est la même, et l’étendue des lieux et l’originalité de la représentation permet de découvrir à chaque fois de nouveaux recoins, de dévoiler de nouveaux secrets. Sleep No More existe toutefois encore à Shanghai et Punchdrunk réfléchit à faire vivre le show (initialement lancé à Londres il y a 20 ans) dans d’autres pays. Et à New York ? « Je ne peux rien dire mais on travaille sur des choses très excitantes », confie Ilana Gilovich. Le nombre de réservations de ces dernières semaines semble quant à lui indiquer que le public en veut… more !