Depuis dix ans, Sciences-po tente de se faire un nom sur une scène universitaire internationale dominée par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. L’ambition était affichée clairement lors de la campagne de fundraising lancée par l’école en 2009 : « Objectif 2013, 100 millions d’euros pour faire figurer Sciences-po parmi les dix meilleures universités mondiales. »
Afin de devenir un jour le Harvard de l’Europe, la stratégie est de développer des liens étroits avec les grandes universités américaines. Les doubles diplômes avec Columbia University sont notamment un formidable levier pour augmenter la crédibilité de Sciences-po aux Etats-Unis. Cet automne, la stratégie transatlantique de l’école passe un nouveau cap avec l’ouverture d’un campus euro-américain à Reims, dans lequel il sera possible de ne prendre que des cours en anglais et d’obtenir un « bachelor’s degree » en trois ans.
L’objectif de long terme est d’accueillir un maximum d’élèves américains (environ la moitié d’une promotion). Mais pour l’instant, la majorité des inscrits ne résidant pas en France sont des Français expatriés, Franco-Américains et Franco-Canadiens, qui contrairement à leurs camarades américains, ont déjà entendu parler de Sciences-po. Le campus – qui accueillera environ 80 élèves pour la première année – complète un réseau de cinq autres écoles provinciales, chacune dédiée à une région du monde, de l’Asie à l’Amérique Latine.
« On ne forme plus des petits Français dans leur coin, c’est un melting pot ! » explique Francis Vérillaud, le directeur des affaires internationales et des échanges.
S’il demeure difficile d’attirer des lycéens américains qui ne savent prononcer ni « Reims », ni « Sciences-po », l’argument financier pourrait changer la donne. En effet, à environ 10 000 dollars l’année, la scolarité à Reims coûte quatre fois moins qu’à Harvard. De plus, pour donner une touche de glamour à une ville de province peu connue hors de l’Hexagone, l’administration mise sur l’association entre Reims et champagne, avec une abondance de photos de bouteilles sur le site Internet et la vidéo promotionnelle.
Mais au-delà des cuvées de brut, le mot d’ordre de Sciences-po est la « lisibilité » : si l’institut veut se faire connaître, il doit user du même langage que les universités dominantes. Vous dites que vous faites une licence ? Personne hors de France ne comprendra. C’est pourquoi le terme utilisé sera « bachelor » ou diplôme de fin d’année. De même, puisque la notion de grande école est strictement franco-française, le campus prend le nom de « collège universitaire », en écho au « college » anglo-saxon. Pour finir, les divers masters de Sciences-po sont maintenant réunis en « écoles », sur le modèle des « law schools » ou « schools of international affairs ». Les procédures d’admission s’inspirent aussi d’un style américain puisque, selon M. Vérillaud, «être un très bon élève ne suffit pas…nous recrutons des personnalités avec un projet de vie ouvert sur le monde».
Sciences-po s’est même implanté dans la structure administrative américaine. L’école est reconnue par le Department of Education, de façon à ce que les étudiants puissent bénéficier de prêts garantis par l’Etat, et elle fait aussi partie du College Board, ce qui lui permet de diffuser ses brochures promotionnelles à des dizaines de milliers de lycéens qui passent les examens SAT.
En attendant, ce sont les Français d’Amérique qui diffusent la bonne parole. Serena Lignel, qui vit à Chicago depuis plusieurs années, s’apprête à revenir dans sa France natale pour faire ses études. Lorsqu’elle dit à ses amis américains qu’elle va à Sciences-po, la réaction inévitable est l’incompréhension : «attends, quoi ? j’ai pas compris…» Mais une fois qu’elle explique la formule, l’enthousiasme prend le dessus : «ah une école en France, super cool !»
Sciences-po espère qu’à force de trouver que c’est une idée « super cool », les lycéens américains finiront eux aussi par venir à Reims avec leurs camarades français…