L’anomalie d’Hervé Le Tellier, prix Goncourt 2020, Le pays des autres, le dernier roman de Leïla Slimani, Nature humaine de Serge Joncour, un essai sur la vie marine, ou encore une biographie du naturaliste John Muir qui permit la création du parc de Yosemite. Ces titres sont quelques exemples de la sélection 2021 de la Bibliothèque orange, une association parisienne qui favorise l’existence de groupes de lecture depuis 1922. Le principe est simple: il suffit de constituer ou de rejoindre un cercle de 12 lecteurs ou lectrices qui reçoivent chacun deux ou trois livres par mois et qu’ils passent ensuite à la prochaine personne du circuit. “Pour un prix modique, on a accès à 24 ou 36 livres brochés par an et il n’y a aucune obligation de lecture. On ne se réunit pas pour parler des livres puisqu’on reçoit tous les mêmes ouvrages mais à des moments différents“, résume Anne Dumontier qui chapeaute les huit circuits de la Bay Area.
Malgré presqu’un siècle d’existence, la Bibliothèque orange reste confidentielle pour bon nombre de francophones expatriés. Et pour cause : la plupart des 600 circuits et des 14.500 abonnés sont en France. Le concept s’est peu à peu exporté grâce à des Français membres de l’association en France qui l’ont implanté à l’étranger. Danièle Cuzin a découvert la Bibliothèque orange en 2014, un peu par hasard. “C’est grâce à la rencontre, chez des amis, d’une Française qui en faisait partie, raconte-t-elle. J’habite dans la baie de San Francisco depuis 2012 après avoir passé de nombreuses années au Texas et je n’avais jamais entendu parler de la Bibliothèque orange.”
Anne Dumontier, installée à Los Altos, l’a découverte il y a plus de vingt ans, par le bouche à oreille : “J’aime lire et quelqu’un m’avait parlé de ce groupe de lecture. Je l’ai rejoint en pensant que je n’aurais peut-être pas le temps, mais je l’ai trouvé“, plaisante-t-elle.
Une sélection rigoureuse et éclectique
Parmi les raisons invoquées par les participants pour rejoindre ces circuits de livres, l’amour de la lecture en français arrive bien sûr en tête, comme le reconnaît Martine Erickson. “Tout mon univers est anglophone donc c’est une bonne occasion pour moi de me replonger dans la culture française“, assure cette fidèle de l’association depuis 1986.
Pour Marjorie Hamelin, installée à Redwood City, la Bibliothèque orange permet de combler un vide culturel. “Les bibliothèques locales sont assez pauvres en livres français, ce qui nous pousse à recourir à Amazon ou à la Fnac et à acheter les livres.”
La sélection des titres joue également un rôle prépondérant dans la fidélité des membres. “Le comité de lecture de la Bibliothèque orange se réunit chaque semaine à Paris. Il est composé uniquement de bénévoles qui font une pré-selection de 400 livres par an, payés de leur poche afin de préserver leur indépendance par rapport aux maisons d’édition“, explique Anne Dumontier. “Chaque livre est lu par au moins deux personnes avant d’être rejeté. Les ouvrages qui sont retenus sont lus par tout le monde, puis classés par ordre de préférence.”
En général, la sélection de la Bibliothèque orange comprend des romans, des biographies, des polars, quelques traductions de Russie, d’Inde, d’Italie ou des Etats-Unis, ainsi qu’un ou deux ouvrages à caractère religieux. “A l’origine, la Bibliothèque orange était animée par des dames de la paroisse qui voulaient encourager leurs ouailles à lire“, rappelle Anne Dumontier.
Elargir ses horizons littéraires
Cette sélection est souvent l’occasion de faire de belles découvertes : “Il y a bon nombre de livres que je n’aurais probablement jamais envisagé de lire si je n’étais pas abonnée à la Bibliothèque Orange“, confie Anita Vermeulen, membre du circuit San Francisco depuis une quinzaine d’années. “J’ai découvert de véritables petites perles, comme L’insoumis de Judith Perrignon. Je n’aurais sans doute jamais acheté ou lu ce livre qui m’a passionnée, tant par l’approche biographique, car je ne connaissais rien ou très peu de Cassius Clay/Mohamed Ali, que par la description de la lutte pour les droits civiques dans les années soixante. Je comprends donc beaucoup mieux le “phénomène Ali” ainsi que les différentes factions en jeu dans cette page de l’histoire américaine.”
Pour Danièle Cuzin, ces lectures sont autant d’occasions de découvrir des auteurs nouveaux et de recommander des livres à sa famille et ses amis. “Comme je ne lis que rarement la presse française et que je ne regarde pas la télé, je n’entends pas parler des auteurs et des nouveaux livres. Je me renseigne après avoir lu les livres et je regarde les interviews des auteurs et les critiques. La Bibliothèque orange me fournit également des listes de bons livres, ce qui donne lieu à des discussions passionnées avec ma famille et mes amis à propos des ouvrages que j’ai lus.”
Les circuits de la Bibliothèque orange permettent aussi de partager ces lectures avec le plus grand nombre, puisqu’à la fin de l’année, les livres sont donnés à des associations, comme les Alliances françaises, des écoles ou encore aux bibliothèques municipales.