Les incendies en Californie sont devenus les ouragans de Floride. Un drame annuel. En une semaine, le “Kincade Fire” a dévoré plus de 31 000 hectares dans la région viticole du comté de Sonoma, au nord de San Francisco. Toute la Californie a été placée, dimanche dernier, en état d’urgence par son gouverneur Gavin Newsom. Mercredi 30 octobre, le feu était contenu à 30%. Sur son passage, il a détruit 206 bâtiments, quand quelque 90 000 sont encore menacés par les flammes, selon Cal Fire.
Une image a particulièrement tourné sur les télévisions du monde : celle de la propriété de Soda Rock Winery, sur la route 128 (Wine road), en feu. Epargnée par les incendies de 2017, la salle de dégustation, construite en 1869 et qui accueillait nombre de réceptions (du mariage à la dégustation de vin), était notamment un des lieux les plus emblématiques de la région. Un drame qui a directement affecté la Normande Isabelle Adams, directrice des événements et de la salle de dégustation de la propriété viticole depuis 10 ans. Après le rachat de la structure réouverture en 2010, elle a contribué à la remodeler et la décorer.
“C’est le choc. Depuis que j’ai appris, j’ai le coeur en vrac, du mal à respirer. C’était ma seconde maison. Ma fille s’y est mariée, avec beaucoup de souvenirs”, avoue la femme de 59 ans, qui a appris la mauvaise nouvelle via son mari dimanche 27 octobre, avant de voir les photographies dans la presse. “C’est un deuil, même s’il reste matériel.” Le coeur lourd, et les larmes abondantes, elle se raccroche à la reconstruction qui va prendre du temps. “Il faut faire l’inventaire des pièces pour les assurances, modifier les réservations pour des événements, replacer certains employés dans des vignobles”, liste-t-elle. Elle n’a pas encore eu l’occasion de retourner sur les lieux (seule la grange a pu être sauvée). “Une collègue s’y est rendue, et a ramassé pour moi la poignée de la porte d’entrée”, lâche Isabelle Adams entre deux sanglots. Seul lot de consolation : les vignes ayant été récoltées en amont, le vin est déjà en train de fermenter. Et la Soda Rock Winery connaîtra une cuvée 2019.
Depuis quelques jours, la Française se remémore tout ce qui a été perdu : le décor construit durant ses presque 10 ans de travail au sein de Soda Rock, avec des barriques anciennes, les presse-à-vin transformées en table de dégustation, une partie de la cave partie en fumée. Avec ses collègues (quelques-uns des 280 employés que comptait la structure), ils ont prévu de se rendre ensemble sur les lieux, la semaine prochaine, avec du champagne, “histoire de commémorer”.
Tous tiennent le coup grâce à la solidarité qu’ils reçoivent. Des messages de soutien pleuvent et pansent le coeur d’Isabelle Adams. “J’ai du mal à répondre à tous”, assure-t-elle, émue. Et la solidarité s’exprime notamment dans le milieu viticole. Alors que Soda Rock Winery était venue en aide à Paradise Ridge Winery, touchée par les feux il y a deux ans, accueillant des réceptions pour elle, le vignoble de Santa Rosa veut lui rendre la pareille.
Cet incendie est un drame pour la Française, qui était entièrement dévouée au lieu. Fort heureusement, elle s’en sort mieux d’un point de vue personnel. Après avoir passé trois jours sans électricité dans sa résidence de Healdsburg, “en mode camping et sans eau”, Isabelle Adams et son mari ont évacué à temps, samedi 26 octobre. “On savait que les feux étaient dangereux, la route 128 était fermée. On a pris des valises, les papiers -et les costumes d’Halloween pour mes petits enfants- et on est partis vers le nord, comme tout le monde”, rappelle-elle. Finalement, ils se mettront à l’abri dans un “timeshare” du côté de Lake Tahoe. Cela fait près de 5 jours. Désormais, les villes ont été rouvertes, accessibles en prouvant son identité. Mais Isabelle Adams ne prévoit pas de rentrer chez elle tout de suite : “la maison est seulement recouverte de cendres. Mais on est toujours privés d’électricité.” Elle préfère alors profiter de l’air pur, et se reposer chez une amie à Reno.
A l’instar d’Isabelle Adams, peu de Français du nord de la Californie ont fait appel aux associations ( San Francisco Bay Accueil et Main dans la Main), qui sont venus en aide aux sinistrés, en collaboration avec le Consulat de France à San Francisco. Pour la deuxième année consécutive, le réseau Main dans la Main a ainsi mis en place une “cellule de crise téléphonique”. “Depuis dimanche, nous avons reçu 40 propositions d’hébergements”, détaille Sophie Suberville, l’une des co-fondatrices du réseau. “En revanche, nous n’avons reçu aucune demande d’aide, aucun Français n’a eu son domicile directement touché, selon les chefs d’îlot.” Mais, anticipant les désastres de l’an passé, l’association a pris les devants, organisant notamment une récolte de vêtements.