« “Julius Caesar” est une pièce très connue aux Etats-Unis. Il y a des morceaux de bravoure que les Américains apprennent à l’école. C’est toute la difficulté de le présenter à un public qui croit la connaître », observe Arthur Nauzyciel, directeur du Théâtre National de Bretagne.
Comme beaucoup de ses compatriotes, le comédien et metteur en scène français reconnaît qu’il a découvert le chef d’œuvre de Shakespeare lorsqu’il l’a monté pour la première fois en 2008 à Boston, à la demande de l’American Repertory Theater. Onze ans et plusieurs tournées plus tard, il ramène son « Julius Caesar » sur les planches américaines. Le spectacle sera joué en anglais du vendredi 26 au dimanche 28 avril à l’Université de Californie à Berkeley, après un passage à Ann Arbor dans le Michigan début avril, en partenariat avec les services culturels de l’ambassade de France.
« Rien n’a changé, atteste-t-il. Les acteurs et les décors sont les mêmes. Ce qui change, c’est la perception du public, poursuit-il. En 2008, on l’avait jouée en pleine élection présidentielle, il y avait cet espoir un peu fou d’avoir un président démocrate noir au pouvoir après Bush, dont la présidence avait été marquée par la guerre du Golfe », se souvient le metteur en scène.
Mais pour ce dernier, « avec la crise politique que traversent les Etats-Unis, le spectacle raisonne encore plus aujourd’hui qu’à sa création ». Car si cette pièce, qui raconte la conspiration contre Jules César et son assassinat sur fond de guerre civile, est née en 1599 à Londres, elle a tout pour faire écho à l’actualité politique américaine de 2019.
« Elle parle de république et de tyrannie. Avec l’élection de Donald Trump, elle devient beaucoup plus politique qu’avant », note l’homme de théâtre, qui a présenté ce spectacle « très emblématique de [son] travail » en France en octobre 2017 à l’ouverture de la saison du Théâtre Nationale de Bretagne, peu après son arrivée.
Tandis que ses homologues américains mettent souvent en lumière « l’héroïsme de la pièce », Arthur Nauzyciel décrit sa version comme « très mélancolique, basée sur le langage pour montrer comment les mots peuvent transformer le monde ».
Plantée dans les « années Kennedy » avec des acteurs en costumes-cravates, cigarettes à la bouche et lunettes de soleil sur le nez au rythme d’un trio de jazz, la pièce a cependant suscité quelques réticences auprès de la critique américaine, qui la jugeait, comme le Boston Globe, parfois « fatigante à suivre et trop floue sur le discours politique qu’elle cherche à raconter ».
« Les gens du public qui s’attendent à un Shakespeare très conventionnel vont être peut-être déçus », prévient le metteur en scène, qui constate que la presse a mis « en avant le côté français pour expliquer la dimension plus esthétique du spectacle ». Car pour lui qui a monté quatre pièces aux Etats-Unis et les « trois quarts de ses spectacles à l’étranger », le théâtre français qui bénéficie de subventions publiques est « un théâtre de recherches, d’art, peut-être plus audacieux parfois » comparé au théâtre américain « qui dépend uniquement du privé et où il y a une plus grande obligation de résultats ».
Dans cet art où la concurrence est impitoyable aux Etats-Unis, il salue cependant le professionnalisme et l’investissement des acteurs américains avec lesquels il travaille. « On est un peu à chaque fois comme une famille qui se retrouve ».