Le 11 septembre 2001, le Français Jules Naudet pénétrait, caméra au poing, dans la Tour Nord du Word Trade Center, quelques minutes après le crash du vol numéro 11 d’American Airlines. Il accompagnait le chef des pompiers Joe Pfeifer, premier responsable du Fire Department (FDNY) à arriver sur place ce jour-là.
Avec son grand frère Gédéon, resté dans une caserne voisine, le Français réalisait à cette époque un documentaire sur un nouvelle recrue du “Fire Department” et filmait une intervention de routine sur une fuite de gaz quand le terrorisme a frappé New York.
Avec leurs images poignantes de l’intérieur et de l’extérieur des Twin Towers, les frères Naudet signeront ce qui est certainement l’un des plus grands documentaires de l’Histoire: “9/11”. “Toute personne qui survit est confrontée à sa propre mortalité”, explique Jules Naudet, qui habite toujours à New York.
Jules, Gédéon et le “chef Pfeifer”, passé ensuite à la lutte anti-terroriste au sein du FDNY avant de prendre sa retraite, se retrouveront, lundi 18 mars, au French Institute Alliance Française (FIAF) pour une discussion sur la protection de Paris et New York contre la menace terroriste. Les trois hommes, restés proches depuis le 11-Septembre, seront rejoints par un otage français du Bataclan et des responsables de la BRI (Brigade de Recherche et d’Intervention) parisienne.
En plus de la discussion, les frères Naudet présenteront le troisième épisode de “Fluctuat Nec Mergitur”, leur série-documentaire sur les attentats du 13 novembre 2015 actuellement visible sur Netflix sous le nom de “November 13: Attack on Paris”. À travers des témoignages de quarante survivants et plusieurs responsables politiques de l’époque (dont François Hollande), elle raconte minute-par-minute les événements tragiques de la soirée.
Le troisième et dernier épisode de cette série porte sur la prise d’otage au Bataclan. Choc, incompréhension, terreur: le spectateur raconte l’enfer des survivants, sans cacher les instants d’humour inattendus. Face à la caméra des Naudet, certains se souviennent par exemple d’avoir été amusés par l’accent du sud du négociateur de la BRI, quelques minutes avant la libération des otages. “C’est ce genre de moments que nous voulions montrer dans le documentaire: l’incongru, le surréaliste et la beauté de l’être humain, confie Jules Naudet. Il y a forcément un côté masochiste, reconnait-il quand on lui demande ce que cela fait de se replonger dans l’horreur du terrorisme dix-huit ans après le 11-Septembre. Mais il y a suffisamment de temps qui s’est écoulé depuis. On n’aurait pas voulu le faire plus tôt. On se sentait prêts“.
Pour les frères Naudet, le documentaire marque un retour dans leur pays natal, la France, qu’ils ont quittée adolescents quand leur père Jean-Jacques, ancien rédacteur-en-chef du magazine Photo, a saisi une opportunité professionnelle aux Etats-Unis. À la différence de leurs parents, Jules et Gédéon ne sont pas repartis. Ils ont acquis la nationalité américaine en 1998 et ont fait leur vie ici. Depuis que “9/11” les a propulsés sur le devant de la scène, ils ont interviewé des présidents américains et des leaders religieux de premier plan, du Dalaï-Lama à l’ancien patriarche de l’Église orthodoxe russe, pour différents projets.
Quand les attentats du 13-Novembre ont frappé, Jules Naudet était à CBS pour terminer un documentaire sur la CIA, “The Spymasters”. “Le 11-Septembre, nos parents étaient en France et s’inquiétaient pour nous qui étions à New York. Le 13-Novembre, les rôles étaient inversés“.
Pendant huit mois, les deux frères ont travaillé à contacter les survivants des attentats et gagner leur confiance en vue de préparer “Fluctuat Nec Mergitur”, titré d’après la devise de Paris qui signifie “il est battu par les flots, mais ne sombre pas“. Ils ont réalisé toutes les interviews eux-mêmes. “On leur a demandé de se rappeler de ce qu’ils ont vécu minute-par-minute et d’en parler au présent. La confiance se mérite, glisse-t-il. Le documentaire n’est pas voyeur. On voulait célébrer l’humain au milieu de l’horreur“.
Ce projet lui a aussi permis de mesurer les différences dans la prise en charge des victimes entre la France et les Etats-Unis. Il la juge “beaucoup plus efficace côté américain, en raison du budget alloué pour combattre les problèmes médicaux” des personnels de secours. Ces derniers continuent de mourir près de vingt ans après à cause de maladies contractées au contact des substances toxiques de Ground Zero. En revanche, Jules Naudet loue le programme 13-Novembre de l’Inserm et du CNRS, qui vise à comprendre l’impact des traumatismes sur la mémoire. Cette étude ambitieuse s’appuie sur l’analyse des témoignages de 1.000 volontaires sur une période de dix ans. “Là-dessus, la France est extraordinaire“.
Pour le documentariste, faire parler les survivants des attentats parisiens était “la continuation d’une thérapie” commencée après les attentats contre le Word Trade Center. Si les “cauchemars” et les autres manifestations du traumatisme se sont largement estompés chez lui, il reconnait toujours regarder vers le ciel quand il entend un avion passer. “Faire ce nouveau documentaire m’a re-connecté avec ce moment difficile que l’on a vécu. C’était important de se re-confronter à cela. Voir la force des victimes du 13-Novembre me rappelle la force que je peux avoir en moi. Ils m’ont inspiré à aller mieux“.
Depuis l’attentat parisien, Jules Naudet est sorti de la peau de l’observateur. Après le 13-Novembre, à l’invitation de Joe Pfeifer, il a notamment participé à l’organisation d’une visite des pompiers de New York à Paris pour comprendre “les leçons à tirer de cet épisode“. Après ce nouveau documentaire sur le terrorisme, les frères veulent tourner la page. “On veut faire une comédie romantique, sourit Jules Naudet. Nous avons vécu le 11-Septembre jeunes et de manière personnelle. Pour le 13-Novembre, nous l’avons fait avec plus de recul et de maturité. On est arrivé à dire ce qu’on voulait dire. On en est extraordinairement fiers“.