Tout ça pour ça. Près de deux ans après son adoption, l’Inflation Reduction Act (IRA) de l’administration Biden n’a pas constitué la catastrophe un temps redoutée pour l’industrie française. En 2022, lorsque le gouvernement américain fait adopter ce plan massif de réduction d’impôts (369 milliards de dollars prévus sur dix ans) à destination des entreprises qui investissent sur le territoire américain, les craintes sont légion côté français : on estime que de nombreux industriels vont privilégier les États-Unis pour leurs futurs investissements.
Deux ans plus tard, le soufflet est retombé. Les États-Unis ont bien accueilli plusieurs projets venus de France, mais pas d’indication d’une véritable ruée vers le pays de l’Oncle Sam. « Il est encore un peu tôt pour connaître précisément les retombées de ce plan, et les investissements réels qui seront réalisés en raison de l’IRA, mais il faut garder de la mesure : les politiques industrielles ne sont pas nouvelles », explique ainsi Claudia Sahm, ancienne économiste à la Réserve Fédérale, et fondatrice de Sahm Consulting. « De nombreux projets étaient déjà prévus avant l’IRA, et auraient vu le jour quoi qu’il arrive », développe cette experte renommée de Wall Street.
C’est le cas notamment pour TotalEnergies, qui s’est associé à Tree Energy Solutions (TES) pour étudier et développer aux États-Unis une unité de production à échelle industrielle d’e-gaz (ou « e-NG » en anglais), un gaz naturel de synthèse produit à partir d’hydrogène renouvelable et de CO2. L’entreprise française avait ce projet dans ses cartons. Elle en profitera pour bénéficier de crédits d’impôt aux termes de la loi de 2022 sur la réduction de l’inflation (IRA).
« Les États-Unis présentent de nombreux avantages pour le développement de notre premier projet d’e-NG et notamment des infrastructures gazières bien développées, des capacités de production d’électricité renouvelable en croissance, et d’importantes subventions publiques », déclare ainsi Stéphane Michel, Directeur Général Gas, Renewables & Power de TotalEnergies.
Même cas de figure pour la start-up française Innovafeed, spécialisée dans… les protéines d’insectes. L’usine inaugurée en avril à Decatur (Illinois) constitue un projet de longue date. Ce site de production a nécessité 10 millions d’euros d’investissements, mais la start-up voit déjà plus grand : après une année d’opération, un lieu à plus grande échelle sera lancé. Coût : 100 millions d’euros. Dans ce cadre-là, l’IRA prendra tout son sens, d’autant plus que les États-Unis déroulent le tapis rouge aux jeunes pousses innovantes, avec de grosses incitations financières à la clé.
Le groupe Stellantis a, quant à lui, misé plus de 100 millions de dollars pour un projet de production de lithium géothermique, qualifié de « plus grand du monde », qui permettra de fabriquer les batteries d’un million de voitures électriques. Le constructeur espère pouvoir lancer 25 nouveaux modèles d’ici six ans aux États-Unis. La production implantée en Amérique du Nord offrira un accès aux avantages de l’IRA. Celsius (ex-Schlumberger), a par ailleurs profité, entre autres, de l’Inflation Reduction Act pour mener un projet de géothermie d’envergure, dans le Massachussetts.
Autre exemple : Vinci s’est placé sur le secteur des renouvelables de ce côté-ci de l’Atlantique en investissant dans une start-up, NatPower. Le but : développer des projets d’énergie renouvelable aux États-Unis, essentiellement photovoltaïque et éolienne terrestre. Un autre mastodonte du Cac 40, Veolia, a fait des États-Unis une cible de choix. Le pays de l’Oncle Sam, qui représente aujourd’hui 11% du chiffre d’affaires du groupe, a été identifié comme l’une des zones de forte croissance, avec l’ambition d’y doubler le chiffre d’affaires (5,4 milliards de dollars l’an dernier) d’ici à 2030. Impliquée dans trois secteurs phares (gestion de l’eau, des déchets et chauffage urbain), l’entreprise française lorgne sur la construction d’usines qui nécessitent de grands volumes d’eau purifiée et recyclée pour fonctionner, et qui sont parfois développées dans des zones déjà très sèches, comme en Arizona.
Qu’en sera-t-il dans le futur ? Les vraies retombées de l’IRA se verront dans les années à venir, lorsque les déclarations d’impôts des sociétés auront été transmises aux services fiscaux. Goldman Sachs a déjà prévenu que le montant prévu, ces 369 milliards sur dix ans, allaient être allègrement dépassés sur cette période. Par combien d’entreprises françaises ?