Vous l’avez remarqué vous aussi ? Il est devenu difficile de réserver une table dans un restaurant de New York après 10pm. Un constat surprenant pour la ville qui ne dort jamais. Mais voilà, le Covid est passé par là et a profondément bousculé les habitudes de consommation des New-Yorkais. Les restaurateurs français en font l’amère expérience depuis deux ans, et tentent de survivre face à « une nouvelle réalité ».
Armel Joly est le patron du bistro français OCabanon, situé à Chelsea. Habitué à recevoir une clientèle de bureau avant la pandémie, l’entrepreneur a dû complètement se réinventer depuis. « Avant, nos cuisines restaient ouvertes jusqu’à minuit et on faisait du chiffre sur la deuxième partie de soirée. Aujourd’hui nos clients, ce sont beaucoup de gens qui vont au Madison Square Garden pour des concerts et des événements. Ils viennent dîner dès 5:30pm ». « La clientèle de bureau, c’était 60% de notre chiffre avant le Covid » ajoute Sebastien Muller, directeur du District, un complexe qui propose de la restauration et un marché couvert de produits français à Battery Park City. « Au plus fort du Covid , nous avions déjà réduit nos horaires d’ouverture. Ensuite il y a eu le variant Omicron qui nous a obligé à re-décaler nos plans de réouverture. Aujourd’hui, on constate un retour partiel de la clientèle ».
Même son de cloche à Brooklyn dans le quartier de Cobble Hill, où le réputé Bar Tabac tente de survivre. « On avait toujours des gens qui sortaient tard avant, pour boire un verre ou manger à 1h du matin, raconte Georges Forgeois, le directeur de l’établissement. Aujourd’hui, on a les employés du Palais de justice qui se trouvent pas loin, qui viennent boire l’apéro à partir de 5pm, manger un bout à 6 ou 7pm, mais on est fermé à 10pm. »
La pandémie a profondément changé les habitudes de vie et de consommation des New-Yorkais. Plus de 300 000 d’entre eux ont déménagé à l’extérieur de Manhattan en 2021, selon les chiffres du Census Bureau, et seulement 9% sont de retour au bureau cinq jours par semaine, privilégiant le télétravail. « Les gens restent dans leur quartier et finissent de travailler plus tôt qu’avant. On a toujours dit qu’à New York, la localisation d’un commerce comptait énormément, mais ça n’a jamais été aussi vrai », estime Armel Joly.
« Il faut ajouter à cela le problème du personnel, commente Sebastien Muller. Avec l’augmentation du salaire minimum, les aides du gouvernement pendant la pandémie, on a du mal à trouver des gens motivés pour venir travailler au service ou en cuisine. Ils nous disent qu’ils viennent en entretien, mais ne viennent pas, ajoute le quadragénaire. Et ceux qui nous disent oui pour travailler ne viennent pas non plus. »
Pour Armel Joly, « Manhattan a changé par endroits. Certaines rues, sans être craignos, sont devenues assez mal fréquentées, et la réalité c’est que ça ne plaît pas aux clients ». Georges Forgeois, lui, estime devoir faire face à la concurrence de villes émergentes comme Mexico City. « C’est en plein boom là-bas, surtout au niveau de la restauration. Mes employés, dont beaucoup sont d’origine mexicaine, me disent : pourquoi rester à New York vu le prix des loyers, le peu de tips qu’on gagne, quand je peux vivre tout aussi bien à Mexico City ? ».
Entre l’augmentation de leurs charges salariales, leurs horaires d’ouverture réduits et la flambée des prix de leurs matières premières depuis le début de la guerre en Ukraine, les restaurateurs new-yorkais traversent une période très incertaine. « C’est bizarre, on sent que des nouvelles mœurs se mettent en place », explique Georges Forgeois. « Il faut faire face à une nouvelle réalité qui va durer », abonde Armel Joly. « Pour moi, ça veut dire se diversifier. C’est pour ça que j’ai ouvert une boutique de produits français à côté du restaurant, qui a trouvé sa clientèle, et que j’ai développé au maximum l’activité de catering ».
« Il est temps pour les New-Yorkais de redevenir fiers, de soutenir leur ville et ses commerces de proximité. Le retour au bureau cinq jours par semaine va être déterminant dans les prochains mois », estime quant à lui Sébastien Muller, qui prend l’exemple de la banque Goldman Sachs, dont le siège se situe à côté du District, qui a demandé à ses employés de revenir au bureau cinq jours par semaine. « On a repris nos horaires d’ouverture normaux de pré-pandémie, et on est confiant pour cet automne et cet hiver ». Georges Forgeois, lui, espère ouvrir un nouvel établissement à Greenpoint. « Il faut miser sur des quartiers jeunes, avec des gens qui continuent de sortir. Il n’y a plus d’artistes à Manhattan, c’est devenu une île de vieux. »