“Quand les spectateurs ne se rendent pas compte qu’il y a des effets spéciaux dans un film, c’est le plus beau des compliments.” Telle est l’approche de Guillaume Rocheron qui a décroché, avec ses collègues Dominic Tuohy et Greg Butler, l’Oscar des meilleurs effets visuels pour “1917”, le film tourné en (faux) plan séquence de Sam Mendes. Une deuxième statuette pour le Français de 39 ans, déjà récompensé en 2013 pour “L’Odyssée de Pi” d’Ang Lee.
Mais il ne s’y était pas pour autant préparé, cette fois. “Quand on fait un film, on ne sait jamais s’il va marcher, on ne pense pas aux Oscars”, explique-t-il. Alors nominé, il n’y croyait toujours pas : “ce n’est pas le film à effets spéciaux type.” “1917” affrontait des blockbusters comme “Avengers: Endgame”, “Le Roi Lion” et “Star Wars IX: L’ascension de Skywalker”, ainsi que “The Irishman” qui utilise la technique du rajeunissement des acteurs. Pour autant, il avait préparé un discours – qu’il n’a pas lu, rappelle-t-il. “C’est vraiment dans les coulisses que j’ai réalisé que nous avions gagné”.
Le film de Sam Mendes, dans lequel on suit deux jeunes soldats dans les tranchées de la Première Guerre mondiale, était d’autant plus un challenge qu’il n’y a ni super-héros, ni science fiction. “L’objectif était que les effets soient invisibles, que le spectateur ne se concentre pas sur la prouesse technique. Le plan séquence nous a demandé de repenser notre manière de travailler”, explique le superviseur des effets spéciaux, insistant sur le fait que cette récompense honore le travail d’une équipe de 600 personnes. “Il y a encore 5 ans, on n’aurait pas pu faire ce genre de film.” L’équipe a fait en sorte de rendre les effets spéciaux aussi réalistes que possible, afin de créer l’illusion sur des séquences de plusieurs minutes – contre quelques secondes habituellement.
Mais, pour Guillaume Rocheron, “les révolutions techniques et technologiques ne sont pas une fin en soi, il faut qu’elles servent la narration de l’histoire”. C’est pourquoi le Français est présent dès la lecture du script et jusqu’à la post-production d’un film. S’il a été amené à travailler avec Sam Mendes (“Skyfall” et “American Beauty”), c’est via le bouche-à-oreille. Sa réputation l’avait précédé. “Un Oscar facilite toujours les opportunités, même si elles sont difficiles à quantifier”, avoue celui qui compare volontiers les effets visuels à des “tours de magie”.
Hypnotisé par le premier “Jurassic Park”
Fasciné depuis l’enfance par la bande dessinée, Guillaume Rocheron se tourne très jeune vers la photo, puis le cinéma. Il est alors hypnotisé par des films comme “Star Wars” et “Laurence d’Arabie”, avant d’être “estomaqué” par les effets spéciaux du premier “Jurassic Park”. “Il a changé ma vision”, assure celui qui réalisait des court-métrages sur ordinateur dès l’âge de 15 ans. Il se fait ainsi remarquer par BUF Compagnie, une société française d’effets spéciaux spécialisée dans la synthèse d’images, qui l’embauche. En parallèle, il suit une formation à l’école Georges Méliès à Orly. Des premières expériences qui ont forgé son approche des effets spéciaux : “Je me concentre sur l’image finale, et pas uniquement sur le détail de l’image, à la différence des Américains et des anglo-saxons.” Pour le Français, cette “french touch” s’exporte : “il y a beaucoup de techniciens français dans les studios, c’est un pays avec une vraie culture du cinéma.”
“J’espère que les films que je fais aujourd’hui inspireront les nouvelles générations.”
Curieux, il accepte en 2005 de partir en Angleterre pour travailler avec la Moving Picture Company. Puis, il est envoyé par cette société à Vancouver pendant quelques années, avant d’atterrir à Los Angeles, la Mecque des studios, il y a quatre ans. “Cette ville offre une belle qualité de vie, même si en temps qu’européen, il faut faire des ajustements”, lâche-t-il. Des déménagements lucratifs, puisque depuis, Guillaume Rocheron n’a cessé de multiplier les superproductions américaines, dont “Fast and Furious 5, les deux premiers volets de “Godzilla” ou “Ad Astra”.
Dans son métier, son mantra reste le challenge : “Aujourd’hui, le public est habitué aux effets spéciaux, c’est difficile de les impressionner. Tout le monde connaît le tour de magie”, assure le Français qui travaille, en moyenne, deux ans sur un film. “Les effets spéciaux font partie de l’histoire du cinéma depuis Georges Méliès et Alfred Hitchcock. Les évolutions digitales devront dans l’avenir les rendre plus intuitifs à utiliser”, plaide le superviseur.
En ce sens, il refuse de se contenter du Graal professionnel que représente un Oscar. “Je n’ai pas encore 40 ans, je ne veux pas que ces récompenses soient une fin en soi”, affirme celui qui va enchaîner sur un nouveau projet d’ici quelques semaines. “Dans ce métier, on ne peut pas se reposer sur nos acquis.” Il aspire encore à réinventer, innover et multiplier des collaborations professionnelles avec des “visionnaires” qui ont envie de créer une expérience. A l’instar de Bong Joon-ho, ovationné lors des Oscars pour “Parasite”.