C’est certainement l’un des musées les plus méconnus de New York, même pour ses voisins. La Hispanic Society Museum & Library (HSM&L), petit bijou consacré à l’art des mondes hispaniques dans le nord de Manhattan, a un nouveau directeur: le Français Guillaume Kientz, arrivé à New York début mars.
À 40 ans, cet ancien conservateur responsable de l’art espagnol et hispanique au Louvre est chargé par le conseil d’administration, dirigé par l’ex-directeur du Met Philippe de Montebello, de décloisonner cette institution née en 1904. “Je la connaissais depuis longtemps par la réputation de ses collections, mais je ne l’ai visitée pour la première fois qu’au début des années 2010. Le musée n’était bizarrement pas dans les circuits habituels de visite et en en discutant avec des amis et collègues, de loin, ça semblait compliqué, se souvient le Strasbourgeois. Finalement c’était assez simple. C’était sans doute une histoire de communication moins développée que dans d’autres institutions new-yorkaises. Sans doute aussi la HSM&L était d’abord vue comme un centre de recherche, mais quand j’ai découvert les collections sur place ce fut un choc, une expérience inoubliable. Depuis j’ai appris que ce n’était que la partie émergée de l’iceberg. Les collections sont immenses et incroyables“.
Guillaume Kientz n’est que le troisième directeur de la Hispanic Society. Abritée dans une superbe propriété entre la 155ème et 156ème rue, pourvue d’une terrasse, l’institution est une référence sur l’art hispanique (Espagne, Portugal, Amérique latine, Philippines). Sa collection comporte quelque 750 000 peintures, ouvrages (dont une première version de Don Quichotte datant du début du XVIIe siècle), cartes, sculptures, photographies et autres objets. On y trouve des oeuvres de Velázquez, Murillo et Goya notamment. “C’est la plus grande ressource sur l’art et les cultures hispaniques au monde. Certes, à Madrid, il y a le Prado, la Bibliothèque nationale d’Espagne, le musée archéologique et le musée des Amériques, mais la Hispanic Society englobe tout cela à la fois“, détaille-t-il.
Ce n’est pas sa première expérience américaine. Avant d’être recruté à New York, il a passé deux ans au musée d’art Kimbell au Texas comme conservateur pour l’art européen. Après neuf années au Louvre et cinq expositions (dont la grande retrospective sur Velázquez au Grand-Palais en 2015), il avait envie de changer d’air. “On n’a jamais fait le tour du Louvre, mais je cherchais un nouveau challenge, dit-il. L’approche américaine, plus connectée aux publics, me plaisait. Au Louvre, on ne rencontre pas ou peu le public, à la différence des grands musées aux États-Unis. J’aime « rendre des comptes », c’est le meilleur moyen d’éviter le risque de la tour d’ivoire“.
À la tête de la Hispanic Society, il aura à coeur de mettre en oeuvre sa philosophie de démocratisation de l’art développée en France. Formé à la sociologie des administrations et la science administrative à Sciences Po Strasbourg avant de basculer dans les études d’art, Guillaume Kientz a “appris [son] métier sur le terrain bien plus que dans les amphis. Cela m’a beaucoup aidé à me mettre toujours à la place du visiteur, qui, avec la collection, doit être la priorité”, explique-t-il.
Alors qu’il était conservateur au Louvre, il a lancé, à titre individuel, les rendez-vous “Musées Debout”, en parallèle du mouvement “Nuit debout” en 2016, pour inviter les curieux à dialoguer sur l’art et la place des musées dans la société. “Tout le monde n’a pas l’obligation d’aller au musée bien sûr, chacun ses goûts. En revanche, le musée doit s’adresser à tout le monde. S’il n’y a que le segment privilégié d’une population qui fréquente les musées, la question de leur utilité sociale, et donc de la légitimité de leur financement finira par se poser. C’est autant une question de raison d’être que de survie“.
Depuis son arrivée à New York, il ne chôme pas, même si le musée, dont la rénovation se poursuit, ne rouvrira qu’au printemps. Son objectif: rendre l’établissement plus visible, notamment dans son quartier de Washington Heights, fief des Dominicains et Portoricains de New York. “On doit se mettre au service de la communauté de manière plus visible. On le fait déjà avec de nombreux acteurs locaux, mais il faut que ça se sache plus pour attirer et initier encore plus de projets communs et plus de collaborations“. Une exposition de fresques murales sur la diaspora latinx, réalisée avec l’organisation artistique locale NoMAA, est prévue pour mai. “Cela sera un pas important pour la renaissance de l’institution“. Il veut aussi créer des bourses pour former une “pépinière” diverse de nouveaux conservateurs. “Le musée n’est pas une institution unilatérale. Il s’agit aussi de savoir recevoir, accueillir, écouter et susciter la parole, le point de vue, la richesse de l’autre, visiteur ou voisin.”