Ça a commencé comme une “joke” raconte-t-il. Une bonne vieille blague qui ressemble à un bizutage : passer quatre semaines dans les rues de New York à vendre des sapins, à vivre dans un van sans confort et à surveiller ses conifères d’un coin de l’œil. Sans parler des jours où le froid vous casse les os et la neige vous rouille les articulations. Et pourtant, cela fait 10 ans que François revient chaque année sur ce petit coin de rue sur 102 et Broadway.
Le gars a « la couenne dure ». Il en a vu d’autres : contrebandier de pierres précieuses en Amérique du Sud et docteur en communication au Québec, il a le CV qu’il faut pour savoir vendre un sapin à un riche « westsider » et faire déguerpir les jeunes des « projects » qui en veulent à son magot quand la nuit tombe.
Car la vente de sapin à New York est un business juteux. Aucun vendeur ne se risquera à vous donner un chiffre précis. Mais les rumeurs disent que les stands les mieux placés peuvent rapporter jusqu’à 100.000 dollars. François, lui, estime qu’il vend environ 700 sapins sur la période de Noël. Les chiffres, il n’aime pas ça….mais à cinquante dollars en moyenne l’arbre, les quatre semaines à occuper son bout de bitume sur Broadway commencent à valoir le coup.
De son employeur, François ne veut rien dire sauf qu’il est américain. Il parle de la « compagnie » à qui il reverse un bénéfice. Où ? comment ? combien ? « Un truc de journaliste, ça. J’te demande pas combien tu gagnes. » Les rumeurs disent qu’un seul et même homme serait derrière la vente des sapins à New York. Un parrain version Jingle Bells. Mais que sont venus faire les Québécois dans cette galère ?
« Parce que les New-Yorkais sont ennuyeux. Il n’y a pas de surprise… Pour leur vendre un arbre, il faut leur vendre une histoire » s’amuse François. Alors, il joue le jeu à fond. Cigarillo mâchouillé aux lèvres, barbe de trois jours, François récite sa partition de bûcheron canadien . « C’est exotique, pour eux, je viens du Grand Nord. Je suis un peu le Père Noël.». Son petit numéro marche tellement bien que des habitués ont fini par appeler leur arbre de Noël « François ». « C’est émotionnel la vente d’un sapin ici. Ce sont de grands enfants, les Américains. Ils veulent vivre le rêve de Noël. Et c’est exactement ce que je leur vends »
Parfois, il y a aussi les clients avec qui le courant ne passe pas. Comme ce jeune, un café Starbuck à la main, qui négocie son sapin pour 5 dollars. « Te rends-tu compte que tu vas aller les pisser dans deux minutes ? » lui répond du tac au tac celui qui a hérité du surnom de « Treeman ».
Le 24 décembre au soir, François remontera dans son van qu’il a appelé Elvis et il reprendra la route pour Montréal au son de radio Canada. Dans les salons de l’Upper West Side, les « François » scintilleront de milles feux. Et le treeman se marrera bien d’avoir réussi son coup : ramasser des billets verts à des New Yorkais qui n’ont même pas les boules…