“Je n’ai jamais eu l’intention de faire un film sur la pédophilie dans l’Eglise“. Résultat: François Ozon a fait… un film sur la pédophilie dans l’Eglise. “Grâce à Dieu” est arrivé le 18 octobre aux Etats-Unis (dates et villes de sortie), quelques mois après sa sortie mouvementée en France.
Le film, qui rassemble Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud, raconte le combat de trois victimes pour faire sanctionner le père Preynat, un prêtre lyonnais qu’ils accusent de les avoir abusés sexuellement quand ils étaient scouts dans les années 90. Face au silence de l’Eglise, en particulier l’une de ses figures les plus éminentes, le cardinal Barbarin, ils montent une association nommée La Parole libérée.
Basé sur une histoire vraie, “Grâce à Dieu” raconte les tourments de ces fidèles, la culpabilité voire l’opposition de leur entourage et leur bataille contre les traumatismes de l’abus. “Comme j’avais fait beaucoup de films avec des rôles féminins importants, j’avais pour une fois envie de parler d’hommes expliquant leurs émotions et leur sensibilité“, explique le réalisateur de “Jeune et Jolie” et de “Huit femmes” notamment.
Lors de ses recherches, il découvre “par hasard” le site de La Parole Libérée et trouve “les témoignages de ces hommes très forts et émouvants“. Une des victimes, un père de famille nommé Alexandre dans le film (joué par Melvil Poupaud), lui confie un “gros dossier” avec l’ensemble de ses correspondances avec l’Eglise et le cardinal Barbarin. “Faites-en ce que vous voulez, m’a-t-il dit“.
Pour éviter d’éveiller les soupçons de l’Eglise, le réalisateur prend quelques précautions lors du tournage. “Pour avoir la paix, on a tourné sous un faux titre. On a dit que c’était l’histoire d’une amitié entre trois garçons. On a tourné à Lyon et on a pu faire ce qu’on voulait“. Les ennuis ont commencé quand ont été révélés la bande-annonce et le vrai nom du film, qui évoque une citation du cardinal Philippe Barbarin – “la majorité des faits, grâce à Dieu, sont prescrits” – prononcée en conférence de presse en 2016 au sujet de l’affaire Bernard Preynat.
Avec une sortie en salles prévue alors que le procès du prêtre n’avait pas encore eu lieu, les avocats du religieux ont tenté début 2019 de faire reporter son arrivée sur les grands écrans. Mais un juge leur a donné tort, estimant en février que la manoeuvre aurait pour effet de reporter la sortie du film aux calendes grecques et serait de nature à le mettre en péril financièrement. Aujourd’hui, François Ozon se dit “surpris” par cette tentative de report. “Tout ce que je raconte dans le film a déjà été révélé dans la presse et les livres. Si j’avais fait un documentaire, je n’aurais pas eu de problème. Mais je me suis rendu compte que le pouvoir de la fiction faisait peur”, dit-il.
Toujours en attente de son procès, qui doit avoir lieu en janvier 2020, Bernard Preynat a finalement été défroqué par l’Eglise. Le cardinal Barbarin, condamné à six mois de prison avec sursis en mars, a remis sa démission au Pape François, qui l’a refusée. “Avant de faire ce film, je disais que le cinéma ne pouvait pas changer le monde. Là, je me dis qu’on peut changer de petites choses. Le cinéma a une force, une puissance“.
La sortie américaine intervient dans un contexte de libération de la parole des victimes d’abus sexuels de ce côté-ci de l’Atlantique. La vague actuelle de révélations a été lancée par la publication en août 2018 d’un rapport choquant sur les actes de pédophilie commis par des prêtres sur des milliers de victimes en Pennsylvanie.
“J’espère que mon film aura la même utilité qu’en France, même si c’est toujours compliqué aux Etats-Unis car l’histoire est franco-française et le film est sous-titré“, observe François Ozon. Cela n’empêche pas le réalisateur de plaider pour revoir “le statut du prêtre dans nos sociétés, où il est considéré comme un saint, un disciple de Dieu“. “Après le sortie du film, j’ai rencontré beaucoup de prêtres et d’évêques. Je me suis retrouvé face à des vieillards hors-sol. Je me suis: comment une révolution peut-elle avoir lieu avec des gens aussi âgés. Il faudrait un pape de 35 ans!“