Ce n’est qu’un « au revoir », pas un « adieu ». Le magazine franco-américain France-Amérique a annoncé, vendredi 15 mars, qu’il se mettait en pause le temps de se refondre, sans préciser quelle sera la nouvelle forme ni quand, si ce n’est qu’elle n’arriverait pas avant 2025. Mais une chose est sûre: cette institution de la communauté française des États-Unis et du monde de la presse a vécu ses dernières heures sous la forme d’une publication presse régulière.
Le premier numéro France-Amérique est sorti le 23 mai 1943 sous la forme d’un hebdomadaire engagé. À l’époque, la population tricolore à New York, qui avait gonflé pendant la guerre, était divisée entre partisans de Pétain, de Gaulle, Giraud et d’autres factions idéologiques. Fondé par des exilés français dans la Grosse Pomme, le journal avait alors pour objectif de porter la voix de la France libre, anti-Vichy, et de rallier les Américains à la cause de l’auteur de l’Appel du 18-Juin, vu d’un mauvais œil à Washington.
Sur son site, France-Amérique rappelle d’ailleurs qu’un télégramme Western Union du général de Gaulle figurait en « Une » de sa première édition. « Je souhaite bonne chance à France-Amérique. STOP. Je suis certain que votre journal contribuera à faire connaître à l’Amérique notre amie ce que peut et ce que veut la France. STOP. Il aidera ainsi à renforcer entre nos deux pays l’amitié qui est indispensable à la victoire et à la reconstruction du monde ».
Par la suite, le titre a accueilli de grandes signatures dans ses colonnes, comme Albert Camus, Simone de Beauvoir, Louis Aragon et Jean-Paul Sartre… Il a aussi effectué plusieurs mues. Dans les années 1950, il est devenu l’édition américaine du journal Le Figaro, avant de passer entre différentes mains à partir de 2005. Ces dernières années, sous la direction du groupe Chargeurs, un conglomérat industriel tricolore qui souhaitait se diversifier dans la philanthropie, le magazine s’est positionné comme un mensuel bilingue consacré à l’art de vivre français et aux relations transatlantiques dans des domaines variés. Il s’adressait à la fois à un public d’Américains francophiles et de Français liés aux États-Unis. Lu par plus de 120.000 personnes par mois, d’après les chiffres du média, il est la seule publication imprimée francophone disponible sur tout le territoire américain.
Sa suspension a été annoncée dans la foulée d’une OPA (offre publique de rachat) réussie du PDG de Chargeurs, l’ambitieux Michaël Fribourg, pour prendre le contrôle de l’actionnariat de la société. Lui et ses partenaires détiennent désormais 65,56% du capital et 66,55% des droits de vote de l’entreprise, d’après une note de l’AMF (Autorité des Marchés Financiers) relayée, jeudi 14 mars, par plusieurs médias français. Un geste qui doit faciliter la mise en œuvre d’un « plan stratégique de développement » pour 2025-2030. Celui-ci sera dévoilé au premier trimestre de l’an prochain.
Comment France-Amérique s’insérera-t-il dedans ? Une source interne précise que le groupe souhaite officiellement poursuivre à long terme le soutien du titre, qui pourrait bénéficier de l’appui éditorial international de la maison d’édition Skira (livres d’art). Chargeurs en a fait l’acquisition en 2022 dans l’optique d’accroître sa présence dans l’univers des musées et du luxe. Reste à voir si les propriétaires tiendront promesse. En effet, le groupe a connu en 2023 une année financière difficile, marquée par un recul de 6,9% de son chiffre d’affaires.
À la suite de l’annonce de l’arrêt temporaire du magazine, les messages de soutien ont afflué sur les réseaux sociaux. De nombreux lecteurs et organisations actives dans les relations franco-américaines ont témoigné de leur affection pour le titre et lui ont donné rendez-vous en 2025. Pour sa part, Pascale Richard, conseillère des Français de l’étranger à New York et ancienne rédactrice-en-chef de la publication, s’est dite « très triste » d’apprendre la nouvelle. « France-Amérique est mort, vive le prochain ».