Vous pensiez que 2016 sonnerait la fin du “tip” ? Rien n’est moins sûr. Malgré l’annonce de plusieurs restaurateurs américains de mettre un terme à cette pratique qui rend fous de nombreux expatriés et touristes, le “tip” reste solidement ancré dans les habitudes et pourrait le rester encore très longtemps.
Le restaurateur Danny Meyer, fondateur de Shake Shack et patron du groupe de restaurants Union Square Hospitality a relancé le mouvement. Dénonçant un “système cassé” , il a annoncé fin 2015 que le “tip” serait supprimé progressivement dans ses restaurants. Son raisonnement: grâce aux pourboires, le personnel en salle se retrouvait mieux payé que les chefs ou autres professionnels en cuisine. Il a donc décidé de compenser la suppression du “tip” par une augmentation des prix de 22 à 28%. D’autres restaurants lui ont emboité le pas. Dernier en date: le restaurant de David Chang à Chelsea Momofuku Nishi.
Le “no-tipping” , un débat ancien
Problème: ce n’est pas la première fois que cette vision “égalitariste” est invoquée pour avoir la peau du pourboire. Dans Tipping: An American Social History of Gratuities, Kerry Segrave rappelle que le tip était vu, jusqu’au début du XXeme siècle, comme une forme de pot-de-vin, incompatible avec une vision démocratique et égalitaire de la société. Puis la Prohibition a fait baisser les revenus des hôtels et des restaurants. Et les employeurs ont grandement encouragé la pratique du “tip” . Malgré le vote de lois “anti-tipping” dans plusieurs Etats dans la première partie du XXeme siècle, le “tip” a perduré. Sans doute parce que le système avantageait à la fois les employeurs et les serveurs.
Un siècle plus tard, certains restaurateurs sont farouchement opposés à la suppression du pourboire. Pour Catherine Amsellem, co-propriétaire du Parigot, elle « impactera certainement la motivation des serveurs. Un employé qui travaille en cuisine aura toujours un salaire fixe, ce qui lui procure une certaine sécurité, alors qu’un serveur est dépendant de la fréquentation du restaurant. » Elle préfère ne pas appliquer le “no-tipping” dans son restaurant en attendant que « les grands fassent leurs preuves ».
Christophe Garnier, propriétaire du restaurant Gloo, se dit admiratif de l’action de Danny Meyer mais rappelle qu’il a « l’avantage du nom, ce que les petits restaurants n’ont pas forcément ». Cette notoriété assure, en effet, à Meyer, une demande continue de la part des serveurs qui se pressent à sa porte pour avoir l’opportunité d’y travailler. Christophe Garnier va donc « scruter de très près » cette petite révolution qui n’est pas d’actualité pour son établissement.
Vanessa et Enguerrand Pacini, fondateurs d’Ange Noir Café à Bushwick sont radicaux quant à l’abolition du tip : « on est complètement contre l’initiative de Meyer. Si ça n’est pas obligatoire, on ne le fera pas ! confient-ils. Le tip est une récompense qui mesure la satisfaction du client. Les serveurs risqueraient d’aller voir ailleurs si on met en place cet effet de mode. »
Les clients aussi ne sont pas tous convaincus. Le New York Post a sorti en novembre un article sur les réactions partagées de clients au Modern, un des restaurants de Danny Meyer. Certains restaurants ayant mis en place le “no-tipping” sont revenus sur leur décision à cause de difficultés de recrutement de serveurs. D’autres, au contraire, affirment que le geste a amélioré la qualité de la nourriture et du service. C’est le cas de Jay Porter, un chef de San Diego auteur d’une tribune sur le sujet dans Slate. “Notre menu s’est amélioré, probablement parce que nos cuisiniers étaient mieux payés et se sentaient valorisés. En conséquence, notre business s’est amélioré et, en quelques mois, notre équipe de serveurs faisait plus d’argent que sous le système du tip. La qualité du service s’est améliorée aussi. A mon avis, ce n’est pas parce que les serveurs faisaient plus d’argent (même si cela a aidé). Le service s’est amélioré aussi parce que l’élimination du tip facilite la possibilité d’offrir un bon service.” Le débat est ouvert.