En quelques années, l’explosion des cabinets médicaux sans rendez-vous, qu’on les appelle “urgent care centers” ou “walk-in clinics”, ont changé radicalement l’offre de santé à New York. Faut-il leur faire confiance?
Lorsqu’elle est arrivée à New York, il y a 3 ans, Lorraine (qui n’a pas souhaité communiquer son nom de famille) était bien décidée à trouver un médecin généraliste : “J’ai une bonne assurance, donc je me suis dit que ce ne serait pas trop difficile. Bêtement je suis allée frapper au cabinet médical à côté de chez moi et là on m’a expliqué que le médecin ne prenait pas de nouveaux patients.” Un deuxième a exigé le paiement d’un “concierge fee” de 1.500 dollars par an, en plus du prix des visites. Le troisième a finalement accepté de la prendre sans difficulté mais en lui fixant un rendez-vous… trois mois plus tard.
“Résultat, quand j’ai eu une angine quelques semaines après être arrivée, j’ai poussé la porte d’une boutique sur la devanture de laquelle était écrite ‘Urgent care center’. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre, mais j’ai été agréablement surprise. Dix minutes après être entrée, j’ai pu voir un médecin qui m’a vraiment auscultée et donné le diagnostic”, se souvient-elle.
Comme Lorraine, ils sont de plus en plus nombreux à expérimenter ce qu’on appelle au choix les “urgent care centers” ou “walk-in clinics” (littéralement : “clinique sans rendez-vous”). Le plus souvent elle ont vitrine sur rue, une salle d’attente pimpante et des heures d’ouverture plus qu’accommodantes. Selon les cas, les visites sont assurées par des médecins généralistes, par des infirmières ou d’autres professionnels de santé non médecins. Depuis une dizaine d’année aux Etats-Unis, leur nombre a explosé. A New York, des chaînes comme City MD, Med Rite ou UMD Care ont ouvert des dizaines de centres, que l’on trouve également au sein des pharmacies comme CVS.
A cette croissance spectaculaire correspond une autre réalité de la santé américaine : le médecin de famille se meurt. D’après l’organisme indépendant Health Care Cost Institute, entre 2012 et 2016, les visites chez un médecin généraliste (“primary care doctor”) ont diminué de 18% aux Etats-Unis, alors que toutes les autres dépenses de santé, notamment les visites chez les spécialistes, augmentaient. Les médecins de famille sont attaqués de toutes parts. Ils sont d’abord victimes des changements de modes de vie.
“Les patients veulent avant tout la facilité d’accès, sans attente, plutôt que la qualité de la relation entre médecin et patient”, constate Eric Kenworthy, médecin de famille à Brooklyn depuis trente ans qui a vu une bonne part de sa clientèle le quitter pour les “minute clinics”. Et dans le même temps, la pression économique exercée par les assurances – accentuée par Obamacare – conduit de nombreux médecins indépendants à rejoindre des réseaux d’hôpitaux gigantesques. En 2012, d’après Medicare, 25% des médecins américains travaillaient pour un hôpital. Ils sont aujourd’hui 45%. “Toutes les études montrent que ce mouvement n’offre pas une meilleure qualité de soins aux patients, souligne Aditi Sen, professeur à Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health, mais en revanche, cela fait augmenter les coûts !”
Devant cette disparition du médecin de famille, les “walk-in clinics” ont un bel avenir et une utilité certaine pour le système de santé : elles évitent d’encombrer inutilement les services d’urgence des hôpitaux, et coûtent dix à quinze fois moins cher. Mais c’est surtout le confort d’utilisation qui fait leur succès auprès des patients. “Ce n’est pas un hasard si les ‘millennials’ sont les meilleurs clients de nos centres, insiste Laurel Stoimenoff, directrice de l’association professionnelle Urgent Care. Ils ont une exigence en matière de service que n’ont pas forcément les générations précédentes, lorsque l’on parle santé et médecine.”
Selon une étude de la même association, la quasi totalité (96%) des avis négatifs donnés par des patients sur un médecin sont en fait liés à la qualité de service (accueil, délai d’attente, etc.) et non pas à la qualité des soins prodigués. Parce qu’ils mettent l’accent sur le service, ces cabinets médicaux du XXIe siècle répondent à la demande des patients. Une évolution que les “entrepreneurs-médecins” qui sont souvent derrière ces nouvelles chaînes ont bien senti.
“Nous sommes à une ère où le patient est devenu consommateur; tout doit être pratique et aller vite”, dit ainsi Richard Park, co-fondateur de CityMD, une des chaînes qui a le vent en poupe à New York et compte quelque 120 cabinets dans l’agglomération. Il aime raconter que, plus encore que l’école de médecine, c’est son expérience dans un magasin de tirages de photos en une heure, alors qu’il était étudiant, qui lui a appris “ce qui fait la différence : qualité du service et rapidité d’exécution”.
Ce fils d’immigrants coréens, élevé à Queens à New York, se dit fier d’avoir installé le plus grand cabinet de sa chaîne à Jacksons Height, le quartier d’immigrés où il a grandi. Une manière d’illustrer ce qu’il décrit comme la philosophie de CityMD : “Nous ne sommes pas là seulement pour soigner les malades, mais aussi plus largement pour ‘prendre soin’ des gens, des communautés où nous sommes implantés.”
Ce n’est pas le moindre paradoxe de l’expansion des “urgent care clinics” : sur le papier au moins et dans les discours de leurs défenseurs, elles revendiquent un rôle social qui fut celui du médecin de famille, dont elles contribuent pourtant à accélérer la disparition. “Toutes les start-ups ne parlent que de ‘disruption’, dit Richard Park. Pour nous la vraie disruption, c’est de revenir aux fondamentaux, remettre l’humain au coeur de notre activité et regagner la confiance des patients en leur offrant les meilleurs soins à des prix accessibles à tous.”