2022, année présidentielle en France. Là-bas comme aux États-Unis, la candidature d’Eric Zemmour ne passe pas inaperçue. Côté américain, elle rappelle même celle d’un certain Donald Trump. Non sans une certaine inquiétude – « la menace de la tragédie trumpienne plane sur la France », jugeait le Washington Post fin octobre, avant l’entrée en lice de l’ancien journaliste.
Le polémiste, bête des plateaux de télévision, est-il pour autant la version française du milliardaire républicain ? La presse américaine est partagée. Après avoir assisté au lancement de sa campagne à Villepinte à la mi-décembre, lors d’un meeting émaillé de violences, le New York Times fait partie de ceux qui ont une forte impression de déjà-vu. « Le discours, ponctué d’attaques contre les médias, les élites et les immigrés, donné par un orateur fougueux galvanisant des milliers de supporteurs brandissant des drapeaux, avait les allures des meetings passés de Donald Trump », note le journaliste Constant Meheut.
Pankaj Mishra, essayiste indien auteur d’une tribune dans Bloomberg, met Zemmour, Trump et le premier ministre britannique conservateur Boris Johnson dans le même sac. Aidés, selon lui, par l’incapacité des partis traditionnels à « résoudre la désaffection créée par la crise financière de 2008 dans leur société respective », ces trois figures ont « court-circuité les processus politiques partisans pour rassembler des électeurs âgés issus des banlieues, des villes et des zones rurales, écrit-il. Aucun de ces trois impresarios n’a de plans cohérents pour restaurer la grandeur de leurs nations, mais des politiques économiques réfléchies ne semblent pas adéquates pour toucher des électeurs saisis de peurs existentielles ».
Dans un article intitulé « Zemmour fait campagne à la Donald Trump », le site d’information Politico rappelle, pour sa part, que le Français « a dressé lui-même le parallèle » entre lui et l’homme d’affaires quand il l’a crédité, sur LCI, d’être « parvenu à rassembler les couches populaires et la bourgeoise patriote. C’est ce dont je rêve… depuis 20 ans ». Le décrivant comme un « provocateur d’extrême-droite », l’auteure de l’article, Clea Caulcutt, juge que « Z » peine à définir son « pitch politique, mais parvient à attirer l’attention, tout comme l’ancien président des États-Unis ».
La chaîne d’information CNN met, elle, en miroir les déclarations de l’ex-président et de l’ancien journaliste sur l’immigration ou l’intégrité électorale pour montrer leurs ressemblances. « Ce sont tous les deux des outsiders qui ont capitalisé sur leur célébrité à la télévision pour lancer une campagne improbable pour la présidentielle », raconte le journaliste Cyril Vanier dans un reportage. Ce dernier nuance toutefois la comparaison, en précisant que le Français emprunte aussi beaucoup à Tucker Carlson, présentateur vedette de Fox News connu pour ses thèses ultra-conservatrices. Les deux hommes ont « le même style de débat, la même plateforme sur le câble, les mêmes audiences enviables et la même obsession pour les guerres culturelles », poursuit le journaliste.
Malgré les comparaisons, de réelles différences existent sur le fond comme sur la forme. Ainsi, le média conservateur The Hill raconte dans une tribune que Zemmour « est un orateur et écrivain convaincant, qui met un vernis intellectuel sur des sentiments longtemps jugés racistes ou réactionnaires par l’élite française au pouvoir ». Trump, à l’inverse, est « équivoque » et désordonné. Même analyse dans les colonnes du Wall Street Journal, où la chercheuse franco-américano-israélienne Angelique Talmor estime que « la comparaison est pratique mais simpliste ». Les deux personnalités, écrit-elle, « ont émergé de deux traditions politiques différentes et s’adressent à des sensibilités qui ne sont pas les mêmes ».
Tout en rappelant le passé et le profil de Zemmour (juif, diplômé de Sciences po Paris, ex-socialiste qui s’est constitué un énorme carnet d’adresses au sein du pouvoir quand il était journaliste, fils de Pieds noirs ayant fui l’Algérie…), elle rappelle que son parcours et son pitch sont très différents de celui du républicain. « Le sentiment que la France est en déclin est très répandu dans le paysage politique, ce qui rend puissante l’histoire de M. Zemmour – celle d’un membre de la classe dirigeante désillusionné par les échecs politiques et qui a eu le courage de rompre les rangs ». Et de résumer : « Il mise sur un programme politique populaire et sur sa réputation en tant que membre de l’élite française pour présenter (son message) de manière plus sophistiquée ».
Adam Gopnik, fin observateur de la vie politique française au magazine The New Yorker, trouve, lui, de nombreux points communs aux deux hommes… mais aussi de multiples différences. Eric Zemmour lit « beaucoup de livres », à l’inverse de son pendant américain qui ne semble pas avoir de lectures, y compris ses propres ouvrages. Plus fondamentalement, « la seule chose que le Français déteste plus que l’islam est l’Amérique », poursuit le chroniqueur francophile. « La férocité de son anti-américanisme est peut-être la chose la plus surprenante chez lui, étant donnée la teneur généralement pro-américaine de la vie quotidienne en France, centrée sur des figures et des divertissements américains – Josephine Baker a été panthéonisée le même jour que l’annonce de sa candidature. De son point de vue, les États-Unis sont l’ennemi perpétuel de la grandeur française. Même le Débarquement en Normandie en 1944 est pour lui une invasion destinée à imposer l’hégémonie américaine sur la France ».
Gopnik ajoute que « Z » a une sainte horreur de l’affirmative action pratiquée aux États-Unis et de l’historien Robert Paxton, qu’il épingle fréquemment pour ses travaux sur la collaboration entre le régime de Vichy et l’Allemagne nazie. Sa conclusion ? Le fascisme ressemble au pays de ceux qui l’incarnent. « Il n’est pas surprenant que le visage de l’autoritarisme aux États-Unis a pris les formes de la célébrité télévisuelle ou qu’il a l’apparence, en France, comme dans les années 1940, de l’érudition mêlée à une haine de l’autre, vengeresse et recroquevillée. Espérons que les Français verront à travers leur version plus rapidement que nous l’avons fait pour la nôtre ».