Elles sont Françaises ou Américaines ou parfois les deux; travaillent d’un côté ou de l’autre de l’Atlantique, ou souvent des deux. Bref, le panel idéal pour savoir enfin: quel pays, France ou Etats-Unis, offre le plus d’opportunités professionnelles aux femmes? Réunies par le Women’s Forum for the economy and society, (fondé par une française, Aude de Thuin et cité par le Financial Times comme un des 5 plus influents forums au monde), ces femmes actives sont d’accord sur une chose: le “glass ceiling”, le fameux ‘plafond de verre’ qui empêche les femmes de progresser dans la hiérarchie de leurs entreprises, n’est toujours pas brisé.
Devant ces femmes planche Sandrine Devillard, partenaire de McKnisey à Paris. Elle est venue à New York présenter les résultats d’une étude montrant que “les entreprises qui ont le plus de femmes à des postes dirigeants ont aussi de meilleurs résultats financiers”. Et elle n’a guère de doutes: “Aux Etats-Unis vous êtes dans une bien meilleure situation que nous (en Europe)”. Seulement, la remarque provoque immédiatement la réaction de la salle. Shivani Kannabhiran (Insead ’00) a travaillé plusieurs années en France (pour le cabinet de consultants A.T Kearney) avant de venir à New York où elle s’occupe de fundraising: “la situation n’est pas meilleure ici. Il y a des stars qui ont réussi, mais les conditions faites aux femmes pour travailler sont mauvaises, notamment pour la garde des enfants. Ici, il est très dur quand vous avez des enfants de retourner au travail. En France, le système des crèches est excellent”.
Qui a raison? Tout dépend en réalité du critère choisi. A première vue, les statistiques donnent presque match nul entre la France et les Etats-Unis quant à la place des femmes sur le marché du travail. La part des femmes qui travaillent est même légèrement supérieure en France. Environ 60 % des femmes américaines entre 16 et 65 ans sont sur le marché du travail aux Etats-Unis (1) contre 63 % en France (2). Dans la tranche d’âge la plus active (25-49 ans), celle aussi de la maternité, la proportion de femmes qui travaillent (ou sont en recherche active d’emploi) est quasiment la même dans les deux pays, aux alentours de 83 %. La France est le seul pays d’Europe où le tableau statistique soit aussi proche des Etats-Unis.
Rigidités françaises
En revanche, une approche plus “qualitative”, qui tente de rendre compte des chances pour les femmes de monter haut dans la carrière, donne un résultat beaucoup plus favorable aux Etats-Unis. Ainsi, il y a plus de deux fois plus de femmes à des postes de direction aux Etats-Unis qu’en France (environ 7 % de femmes dans les instances dirigeantes des sociétés du CAC 40 contre environ 16 % dans les 500 plus grandes entreprises américaines). Bref, quand il s’agit de monter dans la hiérarchie, mieux vaut, semble-t-il, être dans une entreprise américaine que française. Les femmes qui ont expérimenté les deux systèmes confirment: “le sens de la hiérarchie est l’obstacle numéro 1 en France” estime Shivani Kannabhiran. “Aux Etats-Unis, les entreprises sont gérées de manière beaucoup plus collégiales, collaboratives, ce qui donne aux femmes plus de chance de progresser que dans les hiérarchies strictes à la française”.
Ancienne de la Société Générale, passée par l’Insead également, Sharyanne Mcswain admet qu’il y a encore beaucoup de progrès à faire aux Etats-Unis (“en tant que femme noire, j’étais la seule à bien des réunions quand j’ai débuté… mais 25 ans plus tard, je suis toujours la seule dans la pièce!”), mais elle aussi met en cause la “rigidité” de la société française. “Je choque beaucoup mes amis français quand je dis ça, mais le fonctionnement hiérarchique des entreprises en France est beaucoup plus proche d’un pays comme le Japon que de ce qui se passe ici”.
Anne de Louvigny Stone (Merrill Lynch), parle elle de la “liberté qu’offrent les entreprises américaines; ici, il n’y a pas tous les titres, les superviseurs, et le doute et la suspiscion qui vont avec en France”. Mais par dessus tout, elle apprécie le fait “que chacun est très soucieux de ne pas vous montrer que vous êtes une femme”. Et même si elle reconnaît des excès (“vous êtes enceinte jusqu’au cou, personne n’y fait même allusion!”), le politiquement correct qui règne est, dit-elle, “un plus pour les femmes dans l’entreprise”.
Pour mener sa carrière Sharyanne Mcswain a aussi choisi de ne pas avoir d’enfants. Une “décision consciente et délibérée, pour ma carrière, mais qui est sans doute moins bien comprise par les femmes françaises que par les Américaines”.
Pour faire carrière, Anne de Louvigny-Stone, elle, n’a pas renoncé à avoir des enfants, elle en a deux. Mais, assure-t-elle, la clef d’une carrière réussie pour une femme aux Etats-Unis “est d’avoir un mari qui vous aide. Comme il n’y a aucune aide publique, c’est au sein de la famille qu’on peut trouver les solutions car, malgré tout, la société est ici beaucoup plus dure pour les femmes actives”.
Notes : (1) US department of Labour
(2) Insee