Victor Le Fell se souviendra longtemps du “moment fatidique” de son rendez-vous à l’Ambassade des Etats-Unis à Paris. Le Français était arrivé avec un dossier de 200 pages sous le bras pour obtenir un visa d’investisseur E-2 et lancer sa société de location d’oeuvres d’art Artolease aux Etats-Unis. Le concept imaginé par ce fils d’antiquaire: louer sculptures, peintures, photographies et autres pièces de “fine art” à des entreprises qui veulent habiller leurs murs.
Assis au milieu des fenêtres derrière lesquelles s’affairent les fonctionnaires de l’Ambassade, il attend sagement son tour. “Il y avait un officier jeune super souriant, cool, la trentaine… Et un autre, une dame au visage renfermé. La personne avec laquelle il ne fallait pas tomber. Je me suis retrouvé avec elle” . L’entretien se passe bien – “j’ai même réussi à la faire rire” – mais sa joie est de courte durée. “Elle me demande un document relatif à une donation. J’ai épluché tout le dossier sans le trouver. Mon avocat ne m’avait pas dit qu’il était nécessaire. Elle cherchait quelque chose qui n’allait pas et ça été le déclic. Elle m’a dit: M. Le Fell, je ne vais pas vous accorder le visa. ”
Selon les données les plus récentes des services d’immigration américains, le visa E-2, accordé aux investisseurs étrangers, a été délivré à 24.000 personnes en 2013, soit quatre fois plus que le programme d’investissement EB-5, plus connu. Ce chiffre comprend également les E-1, visa de ‘trader’.
Ce jour-là, Victor Le Fell ne faisait pas partie des heureux élus.
Il n’avait pourtant pas ménagé sa peine pour l’obtenir. Lui et Théodore Bajard, son associé dans Artolease, se sont entourés d’un avocat d’immigration et d’un avocat d’affaires pour s’assurer qu’ils remplissaient les conditions draconiennes pour l’obtenir. Il leur a fallu un an pour rassembler toutes les pièces de leur dossier. “Il faut prouver qu’on va apporter une plus-value à l’économie américaine. On le montre avec un business plan et des études de marché par exemple, résume l’entrepreneur. Il faut montrer les capitaux apportés par les différents investisseurs, trouver une assurance et, dans le cadre de notre activité, un espace de stockage pour les oeuvres d’art. On peut le faire sans avocat, mais ils sont là pour te guider par rapport aux barrières qu’on peut rencontrer à l’Ambassade. Dans notre cas: est-ce que votre espace de stockage est aux normes de sécurité ? La police d’assurance couvre-t-elle les oeuvres ? Etc…”
Il y a aussi quelques “trucs” à savoir. “L’ambassade te demande d’avoir un business opérationnel sans te verser de salaire ni faire de prospections, ce qui est paradoxal” , souligne-t-il. Un obstacle que les deux patrons, tous deux en France, ont contourné en impliquant un partenaire aux Etats-Unis, qui a pu faire des démarches en leur absence. Le visa est accordé pour une durée de cinq ans au niveau consulaire et peut être renouvelé sans limite, à condition que l’entreprise reste en bonne santé financière. “Il faut montrer ton bilan à chaque renouvellement. Cela peut être stressant, mais comme tout entrepreneur, il faut être dans les bonnes angoisses. ”
Le refus du E-2 a été un coup dur pour la jeune entreprise. “On a pu faire quelques ventes à distance mais au final on s’est rendu compte qu’il fallait être sur place pour réagir” . Cela n’a pas empêché les deux amis d’école de commerce de repartir de l’avant. Un an “presque jour pour jour” après le non, le chef d’entreprise était de retour à l’Ambassade américaine avec un “dossier énorme. C’était dingue!” Cette fois, l’agent lui a accordé un E-2 à l’issue d’un entretien de cinq minutes. “C’était une libération !”
Depuis, les affaires ont repris. Des négociations ont été lancées avec des hôtels notamment et le patron noue des partenariats avec de nouveaux artistes en attendant l’arrivée de son associé fin août pour “qu’on puisse grandir rapidement” . “Si tout cela était à refaire, on changerait d’avocat. Il y a ceux qui tu paies en flat fee et d’autres à l’heure. Nous on a opté pour du flat fee. Le problème est qu’ils ont plein de dossiers à gérer en même temps. Ça a été un gros frein pour nous” .
“Ce E-2 était un chemin de croix, mais c’est aussi l’avenir, poursuit-il. Cet épisode était moralement formateur. Les patrons vivent des revirements brutaux parfois. Au final, ça te rend plus fort” .
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Ce qui m’irrite le plus sur cet article, c’est le terme continuellement employe par le redacteur a la seconde personne de singulier pour designer le fond du sujet, comme banalisation du nouvel ere.