Si pour vous psychédélique rime avec beatnik ou hippies (ou les deux), Stéphanie Chayet a un message pour vous: il est temps d’oublier les Sixties; les psychédéliques (champignons notamment), sont de retour et, assure la journaliste française installée à New York, c’est pour le meilleur.
Phantastica, ces substances interdites qui guérissent, le livre qu’elle vient de publier chez Grasset, est d’abord le récit d’un parcours personnel qui donne à cet essai une force incomparable. L’expérience de Stéphanie Chayet, c’est celle du cancer qu’elle a dû affronter en 2017. “Deux ans auparavant, j’avais travaillé sur le sujet de la renaissance des usages de psychédéliques pour un article pour Le Monde”, raconte-t-elle. Une équipe d’un hôpital new-yorkais mène alors une étude sur des malades du cancer, auxquels on administre une dose de psilocybine, en association à une courte psychothérapie.
Les résultats sont spectaculaires: plus de 80% des patients voient leurs angoisses et leur dépression diminuer de manière durable (contre seulement 14% pour ceux qui ont reçu un placebo). Surtout, pour la même enquête, elle rencontre des patients qui lui racontent à quel point le traitement les a aidés. Certains lui racontent que les angoisses quotidiennes liées à la peur de la rechute ont disparu après un seul trip sous psilocybine. “J’avais été très impressionnée par la sérénité que ces patients dégageaient face à la perspective de la mort”, se souvient-elle.
Quand elle reçoit à son tour le terrifiant diagnostic, elle se souvient de ces témoignages. Il n’y a plus d’étude en cours, la seule voie est donc celle de l’expérimentation personnelle. Elle rejoint les cohortes d’Américains qui, en toute illégalité pour le moment, consomment des psychédéliques, souvent encadrés par des psychothérapeutes et qui échangent dans des réseaux qui ont pignon sur rue. Si la quête de la grande majorité de ces utilisateurs modernes est spirituelle, Stéphanie Chayet témoigne qu’il existe autant d’expériences que de “patients”. Pour elle, pas de kaléidoscopes, pas de couleurs, pas de voyage fantasmagorique dans le temps. Ses trips tiennent plus de l’examen de conscience, mais ils n’en changent pas moins sa vie, ou en tout cas sa vision du monde. “L’effet le plus miraculeux pour moi, et inattendu, a été la connection à la nature. J’ai eu dans la même soirée la révélation du problème (que je vivais coupée de la nature), l’explication du problème (un traumatisme d’enfance) et la solution (qu’il fallait que je renoue avec la nature). Ca a changé ma vie du jour au lendemain; je me suis mise à marcher, à faire du cheval, alors que je n’étais pas sortie de New York depuis 20 ans!”.
La reconnection avec le monde, avec quelque chose de plus grand que soi est le point commun de toutes ces expériences individuelles. “C’est aussi sans doute ce qui explique la renaissance des psychédéliques aux Etats-Unis, note la journaliste. Comme le montrent par ailleurs le succès de la méditation, ou la mode des Stoïciens en librairie, il y a un besoin de sens et d’exploration personnelle auxquels ces substances peuvent contribuer”.
Evidemment champignons hallucinogènes et autre LSD ne sont pas des substances anodines. Et si la journaliste plaide désormais pour la légalisation, “il faut bien-sûr que ce soit encadré, comme le sont des dizaines d’activités humaines, de la conduite d’une voiture à la chirurgie esthétique!” Les bas trips qui ont assuré la mauvaise réputation de ces substances sont bien-sûr un risque “mais dans l’environnement clinique, avec les précautions nécessaires (bon dosage, présence d’un tiers sobre pendant toute l’expérience), ces risques sont éliminés à 100%” assure-t-elle. Aux Etats-Unis, après des tests pour les patients du cancer, d’autres études ont été faites dans la lutte contre l’alcoolisme et d’autres substances addictives (“car contrairement aux idées reçues, les psychédéliques ne créent aucune dépendance”) et une étude majeure est en cours pour le traitement de la dépression. Dans la foulée, des médicaments à base de psilocybine devraient arriver sur le marché.
Mais de l’autre côté de l’Atlantique on n’en est pas là. Car si le livre de Stéphanie Chayet est aussi un plaidoyer, c’est d’abord contre cette autre exception française: “contrairement aux Etats-Unis, la France reste hermétique à ces pistes pourtant prometteuses. Les Français continuent de les percevoir comme très dangereuses, alors que toutes les preuves scientifiques montrent le contraire”. Dans la foulée des laboratoires pharmaceutiques qui s’apprêtent à mettre sur le marché des médicaments à base de psilocybine, l’image de ces substances commence à changer dans l’opinion. Déjà, Denver aux Etats-Unis, en a dépénalisé la possession. D’autres villes devraient suivre.
Pour Stéphanie Chayet, cette renaissance des substances hallucinogènes est bien plus qu’une mode; une aide fondamentale face aux épreuves. Il y a trois ans, en même temps que l’annonce de son cancer, Stéphanie Chayet a aussi affronté la mort de sa grand-mère, centenaire, et dont la fin de vie a été hantée par “l’angoisse de mourir que rien ne soulageait”. Et l’idée, dit-elle “que lorsque je serai en fin de vie, j’aurai dans ma ‘boîte à outils’ autre chose que la morphine et que je pourrai aborder la mort plus sereinement, ça a littéralement changé ma vie”.