C’est une page de l’histoire de la cuisine française à New York qui se tourne avec la disparition d’André Soltner. Le 19 janvier dernier, le chef franco-américain d’origine alsacienne s’est éteint dans un hôpital de Charlottesville, avec sa compagne depuis 8 ans, Maryvonne Gasparini, à ses côtés. Il avait 92 ans. L’émoi suscité dans le monde de la gastronomie atteste de son empreinte à New York. « J’ai été prévenu personnellement, je le connaissais très bien, je suis un peu sous le choc car il avait encore dîné au restaurant quelques mois plus tôt » se souvient Gabriel Kreuther, chef éponyme du restaurant doublement étoilé à Bryant Park. « Au-delà d’un confrère, c’était un chef iconique de New York, un pionnier. C’est lui qui a ouvert la voie de la cuisine française à New York avec son restaurant Le Lutèce. On était d’autant plus proches qu’on venait de la même région. D’ailleurs, il ne disait pas qu’il était français, il disait qu’il était alsacien. »
Daniel Boulud, le chef français à la tête de Daniel et de plusieurs établissements à Manhattan, s’est également dit choqué : « André a été une inspiration pour toute une génération de chefs français dont je fais partie. Au-delà de sa rigueur et de son excellence en cuisine, c’était un grand homme, généreux et dévoué. Il va beaucoup nous manquer. » Sur son compte Instagram, Éric Ripert, chef du Bernardin, 3 étoiles à Manhattan, écrit : « Le chef André Soltner a défini une époque de repas à New York et a changé à jamais notre façon de penser la cuisine française. »
Premier chef français à connaître le succès dans la Grosse Pomme avec l’ouverture du Lutèce, en février 1961, au 249 E. 50th Street, André Soltner n’a jamais cessé d’incarner l’excellence culinaire à la française jusqu’en 1994, date à laquelle il décida de raccrocher son tablier. De ce lieu iconique considéré pendant longtemps comme le meilleur restaurant français de Manhattan (il a fermé en 2004), les clients se souviennent de l’ambiance intimiste et de la sympathie du maître des lieux, mais aussi de Simone, l’épouse du chef qui accueillait les convives et gérait les additions. « J’y ai fêté mes 30 ans, se souvient Daniel Boulud. Je garde encore un souvenir ému de mon dîner et notamment de son soufflé mais surtout, c’est le cadre chaleureux sans être guindé, le côté intime et personnel comme si on était chez quelqu’un qui m’avait marqué. On s’y sentait bien. »
Un lieu d’autrefois, au faste suranné, nappes blanches et plats classiques : quenelles de brochet, sole meunière, filet mignon en croûte de brioche, qui attirait une clientèle de gourmets. « Il incarnait la cuisine bourgeoise française. La vraie cuisine, une cuisine généreuse, traditionnelle mais aussi très technique. Un jour, il m’a fait un magnifique compliment en me félicitant sur mes sauces et mes jus. J’aime à penser qu’avec les autres chefs étoilés de New York, on incarne un peu la relève de cette cuisine française qu’il défendait », témoigne Christophe Bellanca, chef de l’établissement étoilé Essential by Christophe, Upper West Side. Et d’ajouter : « Il était extrêmement bienveillant, sans cesse à donner des conseils notamment aux jeunes cuisiniers. »
Plusieurs fois décoré, Meilleur Ouvrier de France, Légion d’honneur, Officier du Mérite National, Chevalier du Mérite agricole mais également titulaire d’un prix pour l’ensemble de sa carrière décerné par la prestigieuse Fondation James Beard, André Soltner s’était mis au service de la jeune génération en intégrant l’American Institute of Wine & Food et l’Institut culinaire français. Le chef restait toutefois un personnage accessible, humble, minimisant les louanges. « Fondamentalement, je suis un cuisinier », déclarait-il à Nation’s Restaurant News en 1987. « Nous ne sommes pas des stars ». La scène culinaire new-yorkaise est pourtant unanime pour dire qu’elle en perd une avec la disparition d’André Soltner.