Comment se réorienter après une carrière dans le judo ? C’est la grande question qui a traversé l’esprit des médaillés français Ugo Legrand et Adrien Bourguignon. Les deux hommes, expatriés depuis 2014 à Los Angeles pour suivre leurs femmes, ont finalement décidé de proposer des cours de judo (pour les adultes et les enfants -de 5 à 13 ans) au studio Meraki à Sawtelle.
Ce retour sur le tatami n’a pas été si évident. “On sait que l’après compétition est difficile pour les athlètes de haut niveau”, assure Adrien Bourguignon, 27 ans. Les deux amis, qui se sont rencontrés lors des stages et compétitions avec l’équipe de France, ont arrêté leurs carrières précipitamment pour des raisons diverses. Médaillé de bronze aux Jeux olympiques de Londres (2012) –“un rêve de gosse”- Ugo Legrand a été stoppé net à 26 ans par une blessure à l’épaule, juste avant les JO de Rio. “Je n’avais plus l’envie après”, se souvient ce presque trentenaire, “et ma femme, maquilleuse, voulait partir à Los Angeles.”
La transition d’Adrien Bourguignon fut moins douce. En effet, le jeune judoka – médaille d’or en France et en Europe – a été suspendu en raison “d’une blague potache” après les championnats du monde de 2014. Cette maladresse fut alors de montrer ses fesses à la fenêtre d’un bus alors que des fans prenaient la pose avec Teddy Riner devant. Ces images ont été immortalisées par la télévision russe, créant un scandale et entraînant sa suspension pendant trois mois. “Ma saison avant les championnats d’Europe était finie”, se désole-t-il. Un coup supplémentaire va le mettre K.O : la fédération de judo va l’empêcher de diffuser son reportage sur quatre athlètes de l’équipe de France, qu’il produisait pour L’Equipe 21.“Blacklisté par la fédé“, il sent qu’il a “un point rouge sur le front”. A 24 ans, il décide alors d’abandonner son rêve de devenir champion du monde pour rejoindre sa petite-amie, une ancienne nageuse synchronisée, qui évolue avec le Cirque du Soleil à Las Vegas.
“Nous n’avions pas le rêve américain, résume Ugo Legrand. Ce sont plutôt nos femmes qui ont cette ambition.”
D’une application à l’enseignement
Tous deux expatriés dans l’ouest des Etats-Unis, ils ont d’abord l’idée de créer une application de fitness nommée Yogowo. Elle permet de connecter les utilisateurs pour participer à une séance collective de sport en extérieur, encadrée par un coach diplômé. Ils choisissent de la lancer à Paris, où ils ont “davantage de connexions”. Trois ans plus tard, Yogowo prend fin. “On a brûlé beaucoup de cash, avoue le Marseillais Adrien Bourguignon. Nous n’avions pas les moyens de nos ambitions”.
Une rencontre va alors les réorienter vers l’enseignement du judo. “Jason Hunt -le propriétaire de Meraki, qui propose des cours de Jiu-jitsu brésilien – m’a parlé de son projet lors d’un séminaire de judo à San Francisco, explique Ugo Legrand, mais à l’époque, on était déjà sur l’app”. Quand cette dernière n’a plus tenu la distance, ils sont revenus sur leurs pas. “Faire partie de cette structure existante nous donnait moins de pression, il y avait déjà 200 adhérents.”
Sur ce tatami de 250 m2, ils veulent transmettre ensemble un enseignement à la française, basé sur les valeurs de tolérance, respect et amitié. Mélanger les âges et les niveaux est au programme. “On veut en faire un lieu chaleureux, où les ceintures noires viennent s’amuser, d’autres travailler leurs techniques, quand certains veulent juste s’initier”.
Tous deux ont pourtant reçu des enseignements opposés. A Marseille, Adrien Bourguignon a suivi la méthode traditionnelle et rigoureuse “à coups de bâtons de bambou” dans un petit club très compétitif. De son côté, Ugo Legrand est issu d’une famille de judokas, son grand-père étant l’un des pionniers de la discipline en Normandie. Un apprentissage familial basé “sur le plaisir, l’amusement”. Leurs divergences semblent pourtant faire leur force. Dès la première semaine, ils comptent une vingtaine d’inscrits.
L’enseigner à Los Angeles s’annonce pourtant comme un défi. Bien que le judo soit une discipline olympique, les Etats-Unis comptent peu de licenciés (35.000 contre plus de 500.000 en France), et ne disposent pas d’un centre unique de formation olympique.
Mais pour ces athlètes, le challenge est une motivation. D’ailleurs, en parallèle, ils multiplient les projets personnels : la création de meubles pour Ugo Legrand et la production de films pour Adrien Bourguignon. Malgré tous ces plans d’attaque, la compétition est de l’histoire ancienne.