Près des ferries new-yorkais amarrés au Brooklyn Navy Yard, deux mâts se dressent fièrement face au gratte-ciel de Manhattan, au milieu des grues et des équipements portuaires. Ils appartiennent au Grain de Sail, le voilier de l’entreprise bretonne du même nom qui veut développer le transport de marchandises à la voile entre les deux rives de l’Atlantique. Le voilier est arrivé de Bretagne dans la nuit du mardi 15 décembre avec près de 15 000 bouteilles de vins français bio destinés à la vente à New York.
Débarquer dans une ville dévisagée par la Covid-19 ? “Ce n’est pas grave. Nous sommes là pour travailler, pas pour faire du tourisme“, raconte le capitaine, Loīc Briand.
Ce n’est pas tous les jours que New York voit arriver un tel voilier-cargo. Loin des porte-conteneurs auxquels sont habituées les autorités, le Grain de Sail mesure vingt-quatre petits mètres et utilise la propulsion vélique (les voiles) comme mode de déplacement principal. Il dispose bien d’un moteur, mais celui-ci est principalement utilisé pour les manoeuvres d’arrivées et de départs dans les ports et ponctuellement pendant la traversée pour s’assurer qu’il fonctionne. Selon Loīc Briand, seuls 60 litres de gasoil ont été utilisés pour l’ensemble du trajet (presque un mois) entre la Bretagne et New York. “Je pense que les Américains nous prennent pour des cinglés. Ils se demandent comment on a pu traverser l’Atlantique sur un petit bateau de 24 mètres. Ils sont habitués à des porte-conteneurs qui en mesurent 300. Pour nous, marins, c’est normal. On trouve ça rigolo“.
Outre Loïc Briand, originaire des environs de Saint-Malo, l’équipage est composé de trois membres: Faustine Langevin, second, Goulwen Josse, lieutenant, et François Le Naourès, matelot. Ils ont fait leurs armes dans la pêche, le transport de passagers à la voile ou encore la marine marchande.
L’escale new-yorkaise est une étape importante dans les ambitions de Grain de Sail. C’est la première traversée transatlantique du cargo-voilier, construit par la PME de Morlaix pour assurer le transport de café et de cacao en provenance d’Amérique latine nécessaire à l’approvisionnement de sa chocolaterie-torréfaction. Après New York, le bateau mettra le cap sur la République dominicaine pour faire le plein de cacao avant de rentrer en Bretagne. À terme, Grain de Sail voudrait construire d’autres voiliers, plus gros, rattachés à des centres de production en France et aux États-Unis, et faire des rotations transatlantiques régulières.
Séduit par la dimension sociale et environnementale de Grain de Sail, Loïc Briand est convaincu que le transport de marchandises à la voile à un bel avenir. “Cette semaine encore, un porte-conteneurs a perdu 200 conteneurs. À un moment, il faut peut-être se poser des questions. Un équipage de 18 personnes ne peut rien faire face à 200 conteneurs qui se détachent. Nous, nous sommes à taille humaine. Est-ce qu’on pourrait transporter des caleçons chinois entre l’Asie et l’Europe à la voile ? Ça ne serait pas rentable. Est-ce qu’on peut transporter des produits à valeur ajoutée en ayant un surcoût limité ? C’est possible“.
En plus du chocolat et du café, Grain de Sail ambitionne de se lancer à la conquête d’autres marchés, comme les épices, le whisky ou encore le rhum.
En attendant le départ du bateau après Noël, si la météo le permet, les curieux peuvent visiter le Grain de Sail sur rendez-vous et goûter les vins transportés dans sa cale réfrigérée. Ils proviennent de sept vignerons français. Pour éviter les mauvaises surprises, l’impact de longs trajets sur le goût des vins a été évalué par Grain de Sail en utilisant des bateaux de pêche en France. “Les vignerons sélectionnés n’ont jamais exporté leurs vins“, précise Matthieu Riou, directeur vins et spiritueux US chez Grain de Sail. Il est venu à New York pour en faire la promotion auprès des restaurateurs et cavistes new-yorkais. “C’est sûr que ce n’est pas la meilleure période, mais il y a un vrai intérêt pour le projet depuis le début. Le public est intéressé par les initiatives porteuses d’espoir. Cela peut marcher en notre faveur, affirme-t-il. Il y a beaucoup de projets en Bretagne autour du transport à la voile. Celui-ci peut venir concurrencer le cargo classique. On fera peut-être le voyage en un peu plus de temps. La nature fonctionne ainsi, mais ce n’est pas grave. On sait quand le bateau part mais pas quand il arrive“.