Du Metropolitan Museum de New York au Perigord, il n’y a qu’un pas. Ou plutôt quelques clics de souris. Grâce à la collaboration inédite entre le Met et les équipes du Château de Biron en France, deux statues originaires de ce coin de Dordogne mais possédées par le musée new-yorkais depuis plus d’un siècle vont être dupliquées à l’identique pour retrouver leur place d’origine. Les originales, elles, resteront au Met.
« Piéta des donateurs » et « La Mise au Tombeau du Christ », le nom de ces deux statues, ont été sculptées au tout début du XVIe siècle, entre 1500 et 1515. « Elles ont été créées à l’origine pour prendre place dans la chapelle privée du Château de Biron, explique Griffith Mann, conservateur en charge de l’art médiéval au Met. Elles ont ensuite été acquises, au début du XXe siècle, par JP Morgan qui, à cette époque, était le président du conseil d’administration du Met et un important collectionneur. Après sa mort en 1913, son fils a donné plus de 7000 œuvres d’art au musée, dont ces sculptures. La collection médiévale du Met repose pour beaucoup sur les donations provenant de la collection de JP Morgan. »
Elles constituent un passage obligé des visites dans cette aile du Musée, la galerie 306, que l’on surnomme The Treasury, signe de son prestige. « Les deux statues sont présentées dans un espace où elles peuvent se faire face, poursuit Griffith Mann. Elles constituent une réalisation très significative de ce qu’on pourrait appeler une sculpture française du début de la Renaissance. Elles font même très certainement partie des sculptures françaises les plus représentatives de cette période étant actuellement en dehors de France. »
Depuis plusieurs décennies, à Biron, dans ce coin de la Dordogne frontalier du Lot-et-Garonne, on essayait de faire revenir, d’une manière ou d’une autre, ces deux œuvres d’art dont l’emplacement d’origine, dans la chapelle, est resté depuis désespérément vide. C’est finalement un courrier de André Barbé, directeur actuel de la Semitour Périgord (organisme touristique, en charge notamment de la gestion du Château de Biron), proposant une duplication à l’identique via des technologies dernier cri, qui a relancé la procédure en 2020.
« À ma grande surprise, le Met m’a immédiatement répondu favorablement, raconte André Barbé. Je crois qu’ils ont aimé l’idée qu’on ne demande pas la restitution. Ces œuvres avaient été achetées légalement au début du XXe siècle, je ne me voyais pas demander à casser un contrat de vente qui avait été signé avant la loi de 1913 interdisant la vente d’œuvres d’art à l’étranger. Et puis quand j’ai vu les œuvres dans les galeries du Met, à l’occasion de notre visite en février pour signer l’accord de partenariat, je me suis dit qu’elles y étaient très bien, avec chauffage et climatisation, sans aucune dégradation du temps. Elles n’auraient pas survécu aussi bien si elles étaient restées dans leur emplacement d’origine. »
De plus, la Semitour dispose avec l’AFSP, une de ses filiales, d’un atelier d’une qualité remarquable spécialisé dans la fabrication de fac-similés, d’objets d’art et de toute autre réalisation nécessitant une reproduction fidèle. Une des réalisations majeures de cette structure, qui a fait sa renommée, a été la reproduction fidèle des Grottes de Lascaux.
La convention signée entre les deux parties répartit les rôles : le Met s’occupe du scan et de la capture numérique des données des statues. Les équipes françaises, dans leur atelier périgourdin, travaillent sur de la pierre reconstituée (calcaire et résine acrylique) pour recréer de toutes pièces les deux statues.
« La duplication n’avait pas pu être réalisée auparavant car les techniques précédentes nécessitaient de couler une couche de plâtre sur les statues pour créer un moule, risquant ainsi de les détériorer, éclaire Francis Ringenbach, directeur de l’AFSP. Le numérique a tout révolutionné. Nous avons utilisé la photogrammétrie (ndlr : technique de mesure qui consiste à déterminer la forme, les dimensions et la situation d’un objet dans l’espace à partir de plusieurs prises de vues photographiques). Il a fallu 16000 photos pour générer le modèle 3D de la Piéta. »
Le travail, fait à la main à partir des reconstitutions 3D, prendra plusieurs mois. La Piéta devrait être terminée en juillet, la duplication de la Mise au Tombeau débutera ensuite. Aux visiteurs du Met et du château de Biron, bien malin qui pourra alors distinguer le vrai… de la copie.