Au début on entre un peu interloqué, puis un peu déçu par les oeuvres exposées à la nouvelle exposition du MoMA, Counter Space – Design and the Modern Kitchen. Des scènes de films ayant pour cadre une cuisine, des affiches publicitaires des années 30 aux allures délicieusement surannées, la première bouilloire électrique… Rien de bien affolant, rien qui n’éveille une réflexion sur la cuisine et son rôle à travers le XXème siècle. C’est dommage, c’est pourtant le but de l’exposition.
Mais au fil des 300 oeuvres exposées (issues de la collection du musée), l’étincelle a finalement lieu. On voit poindre au détour de certaines réalisations la critique sociale et l’analyse des comportements domestiques promises. La première partie de l’exposition – The New Kitchen – se veut une démonstration de la pensée à l’oeuvre dans l’entre-deux-guerres et sa folie de la modernité. La cuisine en étant l’un des reflets. A cette époque, elle cesse d’être reléguée dans le fond du fond des habitations comme une chose honteuse pour acquérir une vraie place au sein du foyer. Et ce avec la visée humaniste et idéaliste d’influer sur la vie des plus démunis. Changer les cuisines pour changer la vie des gens… La pièce la plus parlante est certainement la cuisine conçue par l’architecte autrichienne Margarete Schütte-Lihotzky entre 1926 et 1927. Petite, avec des rangements partout et sans fioritures, de la “Frankfurt Kitchen” émane la volonté de l’époque d’offrir une cuisine propre, pratique et efficace à tout le monde. L’idée est aussi de réduire le temps passé pour les femmes dans la cuisine, les rendre plus libres. Dans la même optique, la chercheuse Christine Frederick avait décidé de calculer le temps mis pour chaque tâche effectuée, appliquant le taylorisme à la confection des repas et engageant les femmes à suivre les mouvements qu’elle prescrivait… comme des automates.
La deuxième partie – Visions of Plenty – explore la cuisine devenue reflet de la société de consommation, en particulier de l’opulence des Etats-Unis après la seconde guerre mondiale. On le voit sur les extraits de magazines exposés et les réclames de l’époque, la cuisine est plus large, plus accueillante, elle n’est plus le seul lieu de la fabrication des repas mais aussi de détente où la mère cuisine pendant que la fille dessine. Un lieu où se reproduise les clichés donc. C’est dans cette partie qu’émerge véritablement la place de la femme à l’époque: dans la cuisine. On voit alors le machisme à l’oeuvre : une publicité vante les mérites d’une cuisine disponible en trois formats, s’adaptant à la taille de chaque femme pour qu’elle soit plus efficace. La publicité s’adresse au mari – “votre femme pourra…” – et non à la femme directement.
Les cuisines plus grandes sont aussi le signe de l’industrialisation grandissante, c’est ce que montre une vitrine exposant tupperware, saladiers, robots électriques (sûrement la partie la moins intéressante). Tous ces objets pour être achetés doivent avoir assez de place pour être entreposés. La cuisine devient alors aussi le reflet de différents modèles de sociétés qui s’affrontent, européens, américains, communistes, capitalistes…
Mais la partie la plus parlante de l’exposition est la dernière, intitulée Kitchen Sink Dramas qui se centre sur les hommes et et surtout les femmes qui peuplent ces endroits où l’on se sustente. Dans ce dernier segment de l’exposition c’est la critique par des individus qui s’exprime et non plus seulement les concepteurs ou annonceurs. C’est là que l’on voit réellement la réalité de ceux qui y vivent et non plus un tableau idyllique. Le photographe Aaron Siskind montre avec deux clichés (Lady in Kitchen et Kitchen scene) toute une réalité sociale, à Harlem notamment. Et puis il y a la vidéo de Martha Rosler – Semiotics of the Kitchen – qui parodie les cours de cuisine télévisés qui ne véhiculent de la femme que l’image d’une ménagère. L’artiste reprend les mêmes mouvements mais de manière violente, exprimant toute la frustration des femmes au foyer.
La cuisine apparaît avec cette exposition comme un mirroir tendu à la société, les rôles tenus par chacun, les aspiration de richesse, de bien-être, de préservation des ressources… Khrouchtchev avait peut-être tort de se mortifier de l’intérêt des Américains pour leur cuisine, lançant à Nixon lors de l’exposition américaine de Moscou : “Je suis triste pour les Américains, à en juger par votre exemple. Vos vies ne sont-elles donc que question de cuisine?”. Pas seulement, mais en partie peut-être…