Restaurateur breton de New York apprécié tant pour sa grande humanité que pour ses crêpes traditionnelles généreuses, Jean-Christophe Henry est décédé en France des suites d’un cancer. Il avait 62 ans.
Ses cendres ont été dispersées vendredi 29 décembre en Bretagne. « C’était un grand rêveur, un original, un personnage », résume Sophie Raubiet, présidente de l’association des Bretons de New York, BZH. « Il avait réussi à apporter sa passion bretonne à New York à travers ses crêpes ».
Le Brestois, qui se faisait appeler « JC », s’était installé dans la Grosse Pomme il y a plus de vingt ans. « J’ai toujours aimé les grandes villes. Et ici, on peut facilement rencontrer des gens ou entamer la conversation avec des inconnus. C’est ce que j’aime à New York », confiait-il à French Morning en 2018.
Après avoir travaillé comme serveur au Tout Va Bien, le fameux restaurant breton de Midtown, il a lancé la crêperie qui l’a révélé au grand public: Crêpes Canaveral était situé dans l’ancien vestiaire du théâtre 80 Saint Marks. Localisé sur Saint Marks Place, ce bâtiment doté d’un speakeasy fut un haut-lieu de la Prohibition à New York et a notamment été fréquenté par le gangster Al Capone.
Depuis son minuscule local, où il s’installait en soirée avec un drapeau breton six jours par semaine, le Français régalait le quartier de l’East Village et les stars de ses crêpes traditionnelles du Sud-Finistère. La qualité de son travail lui a valu d’être repéré par le New York Times en 2015. Le quotidien raconte notamment qu’il rechignait à utiliser du Nutella, recommandant plutôt aux clients de choisir son caramel-beurre salé fait maison qui avait meilleur goût, selon lui.
À la suite de la fermeture de l’endroit en 2015, il a ouvert Madame Poupon, une crêperie de quartier d’une vingtaine de places à Bed-Stuy (Brooklyn) nommée pour une amie de la famille qui lui a transmis son savoir-faire. Son ami de longue date, Laurent Apollon, qui l’a aidé à lancer l’établissement, se souvient que le crêpier a offert le repas aux gens qui poussaient le pas de la porte dans les premiers jours « parce qu’il voulait absolument qu’ils découvrent sa nourriture et le bonhomme ».
« Il aimait autant parler que cuisiner, ce qui rendait fou certains car ils attendaient trois plombes pour avoir leur crêpes. D’un autre côté, avec lui, on consommait plus que la crêpe. Il y avait aussi tout ses bons mots, sa personnalité et celle de tous les gens intéressants autour de lui », explique le Français. Le quartier le lui a bien rendu. Après qu’une pluie diluvienne a arrosé plusieurs clients (et leurs crêpes) dans l’arrière-cour du restaurant, ils se sont tous retroussé les manches pour dresser la tente que « JC » n’avait pas eu le temps d’installer.
Laurent Apollon se souvient d’un homme cultivé et taquin, qui fonctionnait à la passion et ne « faisait pas les choses pour briller en société ». « JC faisait partie de ces gens qui, par leur personnalité et leur envie de vivre, sortait de beaucoup de carcans. Il n’était pas qu’un simple serveur ou crêpier. Il était l’âme du Tout Va Bien et de Madame Poupon, raconte-t-il. Il incarnait une belle époque de New York où l’on pouvait s’en sortir à la débrouille. Quand on voit les migrants dans les camps ou vendre des chocolats dans le métro aujourd’hui, on se dit que cette époque n’existe plus ».
Sophie Raubiet indique qu’un hommage sera probablement rendu à Jean-Christophe Henry lors de la chandeleur 2024, le vendredi 2 février. Il doit en être question lors de la prochaine assemblée générale de BZH, le 10 janvier. Pour ceux qui veulent honorer sa mémoire, il est recommandé de faire une donation à l’association AJD (Amis de Jeudi Dimanche). Fondée en 1951 par le prêtre jésuite Michel Jaouen, une figure de Bretagne surnommée le « curé des mers », elle a pour but « d’élargir l’horizon de jeunes sortant de prison » à travers la navigation et la rénovation de bateaux. Le restaurateur était le cousin germain du Père Jaouen. « Dans la famille, ils ont tous des cœurs énormes, résume Laurent Apollon, des vies qui sortent de l’ordinaire ».