Au début des années 90, le réalisateur David Sherman et sa femme Rebecca Barten décident de transformer la cave de leur maison de San Francisco… en cinéma. Sans le savoir, ils allaient donner naissance à un mouvement. Rapidement, des lieux du même genre, minuscules et improbables, ouvrent aux quatre coins des Etats-Unis dans des anciennes églises ou des pompes funèbres: les micro-cinémas sont nés. « Dans les années 90, une génération plus jeune, très inspirée par la scène punk-rock, a repensé les micro-cinémas, avec un intérêt très marqué pour le cinéma expérimental », souligne Ed Halter, co-fondateur de Light Industry, espace dédié aux projections et aux arts électroniques à Greenpoint, et auteur d’un ouvrage collectif (à paraître) sur les micro-cinémas.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, ce sont les Français qui ont posé les bases du concept. Sous l’impulsion de Louis Delluc puis d’autres ardents défenseurs du 7ème art, les premiers ciné-clubs font leur apparition dès les années 20. La diffusion d’œuvres politiques, de films censurés, souvent suivie de débats engagés, rencontre un public militant et avant-gardiste. Le concept du ciné-club se développe partout dans le monde dans les années qui suivent. A New York, Amos Vogel, exilé autrichien arrivé aux Etats-Unis pendant la Seconde guerre mondiale, importe le concept à travers son fameux Cinema 16, à la fin des annees 40. Au programme, des films censurés, expérimentaux, des documentaires, bref, des films invisibles ailleurs. Décédé récemment, Vogel était «directement inspiré des ciné-clubs français », selon Ed Halter. Son idée fait des émules : dans les années 60, Jonas Mekas créé le Anthology Film Archives, cinémathèque subversive sur la Second Avenue.
Aujourd’hui, ils sont nombreux à avoir repris le flambeau. Citons notamment le ReRun Theater (DUMBO), Indie Screen (Williamsburg) ou encore le Maysles Cinema (Harlem) « Quand on a ouvert, on montrait de tout, des vieux films, des nouveaux films, des pièces de théâtre, mais on avait un principe : ne montrer que des œuvres introuvables en DVD, ce qu’on appelle les « films perdus », se souvient Akiva Saunders, moitié du tandem à l’origine du Spectacle Theater, situé dans une ancienne bodega à Williamsburg. A l’affiche également: ciné-concerts, théâtre et une place importante accordée à un haut-lieu de l’expérimentation visuelle : Internet, « un espace où les gens rencontrent et recyclent plusieurs formes de cultures, selon Saunders. On avait envie d’un lieu où l’on montrerait cette dynamique, où l’on regarderait Internet sur un écran de cinéma au lieu d’un ordinateur ».
De l’autre côté de la Brooklyn Queens Expressway (BQE), toujours à Williamsburg, Steve Holmgren s’occupe de la programmation de Union Docs, exclusivement dédié aux arts documentaires. Fidèle à l’esprit originel des ciné-clubs français, un débat entre réalisateurs et public suit toujours les projections: « On a ainsi construit une communauté de spectateurs qui ont envie de dialoguer », raconte-t-il. Union Docs vend d’ailleurs chaque année une cinquantaine d’abonnements. Point commun entre ces lieux aux identités très différentes : la liberté de programmation. « On programme aussi bien des nouveaux artistes qui bousculent les conventions que des films dans la grande tradition documentaire de Robert Flaherty », poursuit Holmgren. « Les microcinémas sont une alternative à tout ce qu’un cinéma peut être, conclut Ed Halter. Comme on est dans une toute petite économie, on peut faire tout ce qu’on veut ! »