C’était bien avant le 15 avril 2019; bien avant l’émotion planétaire et Notre-Dame de Paris qui brûle en streaming… Depuis plus de trois ans, Michel Picaud, président de la fondation Friends of Notre-Dame de Paris, consacrait l’essentiel de son temps à tenter de lever de l’argent pour restaurer la cathédrale “qui était très dégradée par endroit”.
“J’ai entendu toutes sortes d’excuses, notamment de la part de grandes entreprises et fondations françaises qui me disaient “on ne peut pas donner pour une église; la France est un pays laïque, ça nous sera reproché”. Aujourd’hui, les mêmes annoncent qu’ils vont donner des dizaines de millions de dollars!”. Mais Michel Picaud n’est pourtant pas amer: “même s’il a fallu l’incendie, c’est formidable de voir cette passion des gens pour la cathédrale. On aura besoin de toutes ces nouvelles bonnes volontés pour reconstruire et notamment de ce côté-ci de l’Atlantique, où les Américains comprennent sans doute mieux que les Français qu’il faudra durer au-delà de cette flambée d’emotion”.
C’est avec les donateurs américains en tête que la fondation Friends of Notre Dame a été créée, il y a deux ans. L’idée est venue d’un professeur d’histoire de l’art américain, Andrew Talon, qui a suggéré au Cardinal Vingt-Trois, alors archevêque de Paris, de faire appel aux dons pour restaurer la cathédrale alors que la participation de l’Etat, propriétaire de la cathédrale, était largement insuffisante. Michel Picaud devient alors président bénévole de la nouvelle fondation et, fort de son expérience d’ex-dirigeant d’entreprises internationales, part à la conquête des philanthropes américains. “Dès la première année pleine, en 2018, nous avons collecté 3,2 millions d’euros en tout, dont la moitié aux Etats-Unis, auprès de 700 donateurs”.
Cette somme avait permis de lancer le plan de rénovation, qui devait s’étaler sur dix ans et, en cumulant dons privés et dotation de l’Etat, permettre d’investir 150 millions de dollars. “Depuis le 15 avril, l’ordre de grandeur a totalement changé”, note Michel Picaud. Rien qu’aux Etats-Unis, les 700 donateurs sont devenus 10.000 en deux semaines. Avec les méga-dons annoncés en France, le presque milliard de dollars déjà promis devrait permettre de reconstruire la cathédrale sans difficulté, “mais l’enjeu, maintenant, c’est de faire durer cette passion retrouvée pour l’édifice, car au-delà de la reconstruction il faudra ensuite assurer l’entretien et les rénovations qui doivent être faites en permanence. Idéalement, c’est un milliard de dollars supplémentaire qu’il faudrait lever pour créer un capital (“endowment”)”.
C’est la raison pour laquelle Michel Picaud est venu début mai aux Etats-Unis, et qu’il rencontre tous les potentiels donateurs. Certains, impressionnés par l’ampleur des dons des milliardaires et grandes entreprises françaises, se demandent si la cathédrale a encore besoin de leurs dollars. “Mais ils comprennent très bien quand je leur explique l’enjeu de long terme, l’entretien”. Et puis, grâce à cette émotion provoquée par l’incendie, “les portes s’ouvrent plus facilement, on est reçu partout. Mon rôle, en ce moment, c’est d’entretenir cette flamme, d’expliquer le rôle de la fondation à ces Américains qui sont sensibles à la cause, mais veulent aussi des garanties sur l’efficacité et l’usage des fonds”. Et là, ajoute le président bénévole, la Fondation a des atouts: “nous n’avons pratiquement pas de coûts de fonctionnement. L’équipe de fundraising de Notre-Dame, vous l’avez devant vous au grand complet”, dit-il parlant de lui et d’André Finot, chargé de la communication de Notre-Dame, qui l’accompagne dans son voyage américain.
Pour ne pas perdre de temps, la fondation va multiplier dans les prochains mois les évènements de fundraising aux Etats-Unis, par exemple à Boston début juin et à New York, chez Christie’s les 4 et 5 juin où les riches clients de la maison d’enchères vont être mis à contribution. Viendront ensuite Washington et Chicago. “Et partout, le fait que nous ayons maintenant 10.000 donneurs actifs, et plus seulement 700, va être un atout formidable à long terme”. Tout comme le volontarisme affiché en France pour le lancement du chantier. “Il y a déjà 130 ouvriers qui travaillent 7 jours sur 7, et il y en aura 300 à partir de juillet”.