Mardi 19 Janvier. Yves Thézé le proviseur du lycée français de New York reçoit un coup de fil d’Haiti. Au téléphone, une élève de 3ème du lycée français de Port au Prince lui demande de lui venir en aide en l’acceptant dans son établissement. “Elle m’a supplié de la prendre“ se souvient Yves Thézé. « Elle voulait absolument continuer ses études. Je pensais qu’elle serait la seule mais très vite nous sommes arrivés à 35 demandes ». Les différents établissements de la région de New York se sont alors coordonnés pour se répartir les élèves. L’école Franco-Américaine, le Lyceum Kennedy, l’école internationale de New York ont également intégré des élèves.
Au lycée français, le dispositif d’accueil ne tarde à se mettre en place. Le Board accepte la gratuité de leur scolarité. L’association des parents d’élèves de son côté finance l’achat des livres et la cantine. Ils sont aujourd’hui 9 à avoir fait le voyage Haïti-Etats-Unis. Ralph vit chez sa tante à Brooklyn en compagnie d’une cousine et d’une très proche amie arrivées comme lui de Port au Prince il y a 2 semaines. Sa maison du quartier aisé de Pétionville est trop fissurée pour y habiter. Sa maman dort dans le jardin. Le Lycée français où il était inscrit a été transformé en hôpital de campagne. Très calme, ce garçon de 15 ans, toujours souriant, raconte qu’il ne veut plus prendre de nouvelles d’Haiti. « J’en ai trop entendu, j’ai peur d’entendre encore des malheurs ». Dimanche dernier, une réplique a de nouveau touché son pays. Il a aussitôt appelé pour savoir si sa famille restée là-bas allait bien. « Tout va bien » soupire-t-il « mais il faut que je pense à moi, à mes études, à mon avenir ». C’est ce qui l’a poussé à faire le trajet : Port au Prince-Santo Domingo en voiture puis l’avion pour rejoindre New York.
Ariel elle aussi souhaitait poursuivre ses études. Elle est en terminale. Comme Ralph et les 8 néos étudiants du lycée français, elle connait très bien New York pour y venir chaque été en vacances, rendre visite à sa famille. La région de New York compte près de 270 000 haïtiens (juste derrière le Sud de la Floride avec 313 000). « Je ne me sens pas perdue » dit-elle en mélangeant parfois l’anglais et le français, « je vis dans le Queens chez mon oncle. A l’école c’est pareil, le programme n’est pas très éloigné, je trouve même que c’est plus facile qu’en Haïti. Ici, on reçoit beaucoup d’aide et de soutien. A Port au Prince, il fallait que l’on se débrouille seul ».
Dans le couloir, en attendant de rencontrer Jean-Pierre Raffarin en visite à New York, le « club des 9 » discute et échange des nouvelles d’ Haïti. La conversation tourne assez vite autour des angoisses et des peurs. Progressivement, Ariel, Ralph et plusieurs autres élèves confient leurs difficultés à vivre normalement, même aux Etats-Unis, plus de 3 semaines après le séisme. Il y a le 6 ème étage du lycée qui effraye Emmanuelle. « Je cherche à chaque fois par quelle porte ou par quelle fenêtre je pourrais sauter si cela tremble. J’essaie de ne pas y penser mais je n’y arrive pas ». Il y a aussi Joséphine et son angoisse de la secousse. « J’étais dans un mall hier, le métro est passé en dessous, j’ai ressenti le sol trembler et j’ai eu peur » avoue-t-elle en se le reprochant. Loïc poursuit : “Moi j’étais chez la psycholoque du lycée. C’est un lieu calme. Il ya un drapeau dans son bureau. Le vent s’y est engouffré. Il y a eu un grand bruit, j’étais complètement paniqué. J’essaie de ne pas y penser mais c’est là… Je ne peux m’en empêcher.”
Autour de Loic, ses amis essaient de plaisanter pour penser à autre chose. Dans quelques minutes ils seront en vacances. Lui continue, emporté par son envie de parler : « A la fin c’est une obsession. Le choc que l’on prend avec le tremblement de terre est inexpliquable. » Joséphine l’interrompt : « Et ça on l’aura en nous pour toute la vie, quoique l’on fasse ». Même à des milliers de kilomètres… A New York ou ailleurs.
Photo: Jean-Pierre Raffarin, conseiller de Nicolas Sarkozy pour la Francophonie, avec les élèves haïtiens accueillis au Lycée français.