Constantin Sklavenitis est le fils de physiciens nucléaires. Résultat: il dirige… une marque de maquillage. Et pas n’importe laquelle. Le Français d’origine grecque, contaminé par “le virus de la beauté” après une visite de L’Oréal sur son campus quand il était étudiant, est responsable depuis février de MAC Cosmetics, filiale du groupe Estée Lauder, pour l’Amérique du Nord. Avant de prendre les commandes de la marque, il est passé par des postes de direction à Urban Decay, Kiehl’s et L’Oréal.
Leader sur le marché des cosmetics avec plusieurs milliers de points de vente aux Etats-Unis, elle connait une concurrence féroce de la part de marques plus petites qui ont fait florès cette dernière décennie. “Il y avait une vingtaine de marques il y a quelques années. Aujourd’hui, il y en a plus de 200, le marché est devenue hyper compétitif et les marques historiques doivent s’adapter“, affirme Constantin Sklavenitis. “L‘arrivée des téléphones et l’engouement pour des selfies ont eu un impact sur le marché du maquillage : Les femmes, et aussi les hommes, veulent paraitre à leur avantage, avoir l’air beaux. Du coup, le marché du maquillage a doublé en 6-7 ans“.
Un marché plus gros certes, mais aussi plus fragmenté. “Avant, les marques avaient besoin d’investir massivement dans l’innovation, le personnel et les points de vente. Puis les magasins Sephora et Ulta Beauty sont arrivés et ont abaissé les barrières à l’entrée. Il est devenu possible de s’offrir un point de vente avec 4-500 dollars, de se passer de conseillers beauté, en utilisant les réseaux sociaux pour la pub…“ Ce contexte pose de nouveaux défis pour les marques installées comme MAC, fondée dans les années 80. Comment s’adapter à ce marché changeant tout en conservant son identité ?
Revenir aux fondements de la marque
Créée par deux maquilleurs en 1984, Frank Toskan et Frank Angelo, MAC voulait proposer des produits cosmétiques en phase avec les attentes des femmes de leur temps. Ses maquillages très colorés, adaptés aux minorités, ont connu un succès fulgurant. Mais, “comme beaucoup de marques, on s’est peu à peu enfermé dans notre modèle et on a perdu de vue l’évolution des insights consommateurs. MAC était devenue une marque de maquilleurs pour les maquilleurs, et les clients devaient s’adapter, résume le dirigeant. Or, les nouvelles générations, en particulier les Gen-Z (4-24 ans), rejettent les modèles marketing des années 2000 où la marque était toute puissante, ils refusent d’être mis “dans des moules” et veulent une offre et un service personnalisée. C’est la génération du “je suis qui je suis, je fais ce que je veux”…“
Changer les pratiques en boutique
Comme il n’est pas facile de changer les pratiques de 7 000 maquilleurs du jour au lendemain, il a donc fallu tester ce “nouveau MAC” à très petite échelle. Une boutique-prototype a été choisie au World Trade Center pour essayer de nouvelles techniques de management et d’expérience-client. La marque a fait appel à des coaches extérieur pour travailler sur l’accueil de la clientèle car “une relation est plus dure à rétablir si l’accueil initial n’a pas été bon“. Le changement est passé par de petites choses: “On a accueilli le client avec le sourire, donné des badges personnalisés aux maquilleurs…” Les services longs ont aussi été remplacés par des séances de maquillage plus rapides.
Autre changement: les maquilleurs, qui ne regardaient pas les chiffres de vente (taux de conversion, panier moyen, nombre de produits par transaction…), les analysent maintenant “toutes les heures” de manière à être plus réactifs face aux fluctuations. La hiérarchie a également été revue. “Avant, l’organisation reposait sur des maquilleurs qui gravissaient les échelons. Mais dans les boutiques, on ne savait pas qui était le directeur“. La boutique-prototype est devenue, en un mois, “une championne de la croissance“, souligne-t-il.
Casser les murs
Dans toute grande entreprise, il y a des résistances au changement. Inspiré par la réorganisation initiée par Carlos Ghosn à la tête de Nissan, le Français a décidé de réduire le nombre d’objectifs donnés aux équipes. Il a créé des groupes “multi-fonctionnels” (ventes, achats, marketing, logistique…) pour faciliter le partage d’idées et travailler sur des objectifs précis, comme “changer la façon de vendre” en boutique.
Ne pas sous-estimer le “brick and mortar”
Le “retail n’est pas mort, selon Constantin Sklavenitis. Même si le digital est en croissance, le brick and mortar représente une grosse partie de notre chiffre d’affaire“. Il cite une étude qui montre que son public-cible, les sacro-saints Gen-Z, “préfère acheter des cosmétiques dans des boutiques physiques” à la différence de leurs aînés. “Si on investit dans nos espaces pour créer des expériences différentiantes, cela créera un avantage compétitif et les clients reviendront. MAC est une marque exceptionnelle qui a su révolutionner le marché du maquillage, et la qualité de ses produits en font toujours aujourd’hui la marque référence du marché américain“.
Recréer de la demande
Pour attirer les nouveaux clients, en particulier les plus jeunes, MAC a investi “fortement” dans les “influencers” et les réseaux sociaux. Instagram bien sûr, mais pas uniquement. La marque est présente aussi sur Snapshat et TikTok, la plateforme d’échange de vidéos courtes très populaire chez les adolescents. “On doit être plus que jamais à l’écoute du consommateur, en particulier les jeunes. Ils ne vont presque plus sur Google. Comment faire pour les toucher ? S’ils sont sur TikTok, il faut y être aussi“. Ce travail est indissociable d’une réflexion sur les consommateurs de demain. “Il faut aussi toujours se demander qui fera la croissance dans dix ans. Dans 20-30 ans, on sait que les caucasiens seront minoritaires, par exemple.”
S’inspirer d’autres milieux
Pour piloter les changements à la tête de MAC, Constantin Sklavenitis ne s’est pas inspiré du milieu du maquillage. Outre Carlos Ghosn, il cite l’ancien PDG français de Best Buy Hubert Joly, qui a ré-inventé l’enseigne de distribution à l’heure du digital, ou encore le dirigeant de Ralph Lauren Patrice Louvet comme sources d’inspiration. Il évoque aussi Sidney Toledano, ancien PDG de Christian Dior Couture, qui avait l’habitude de dire “people, people, people” plutôt que “location, location, location” pour souligner l’importance d’investir dans les personnes. “Si on se limite à regarder son propre secteur, on répète les pratiques d’avant et on se replie“.