Français, Rossignol? Pas sûrs que ses clients américains le sachent et pour le groupe isérois, c’est bien comme ça. « Nous sommes une marque globale et les consommateurs américains ne nous voient pas nécessairement comme des étrangers basés aux États-Unis. Cela s’explique par notre longue présence en Amérique du Nord », assure François Goulet, le président de Rossignol Amérique du Nord. En 2022, Rossignol célébrera les cinquante ans de sa filiale américaine. Créée en 1952 sous l’impulsion de Laurent Boix-Vives, le patron emblématique du groupe français, cette structure a beaucoup évolué pour s’imposer sur le marché nord-américain.
L’un des points forts de Rossignol Amérique du Nord (État-Unis et Canada) est de s’appuyer sur une entreprise avec une large autonomie. La société est une filiale directe de Chartreuse et Mont-Blanc SAS, la holding qui regroupe l’ensemble des entreprises du groupe. « Nous sommes une entreprise avec le statut de Corporation avec sa propre gouvernance même si nous sommes liés à Ski Rossignol SAS pour les approvisionnements et les livraisons. Cette organisation nous donne plus d’autonomie puisque nous disposons de notre propre conseil d’administration. Cela nous permet notamment de gérer directement notre financement avec Wells Fargo, une banque américaine avec laquelle avons un contrat d’asset-based lending (un prêt garanti sur les actifs de l’entreprise) », explique François Goulet.
À l’origine, la filiale nord-américaine était installée dans le Vermont sur la côte Est et chaque marque du groupe (Rossignol et Dynastar-Lange) possédait sa propre filiale. L’entreprise française avait aussi fait le choix d’avoir une usine américaine pour fabriquer des skis alpins et une au Canada pour la production de skis de fond. Mais cette organisation a été modifiée pour des raisons d’efficacité. Les usines ont été fermées et depuis les années 2000, la filiale s’est déplacée dans l’Ouest dans l’Utah avec comme activité la distribution et la commercialisation de matériel, de chaussures et de textile. Si l’ensemble de l’activité est pilotée depuis les États-Unis, la filiale dispose néanmoins d’un bureau commercial au Canada, près de Montréal, et d’un centre de distribution pour desservir ce pays.
La volonté de quitter la côte Est a tout son sens pour une entreprise spécialisée dans les produits outdoor comme le précise François Goulet. « En 2005, le groupe a décidé de se rapprocher des Rocheuses pour plusieurs raisons. Beaucoup de nos riders étaient installés là-bas, l’univers du ski était sous l’influence de la côte Ouest et nous voulions créer un centre d’activité dans cette région », explique-t-il. Durant quelques mois, les dirigeants de Rossignol Amérique du Nord ont visité différents lieux dans le Colorado et dans l’Utah. C’est Park City (Utah) qui a finalement remporté les suffrages car cette ville, haut lieu de sports d’hiver, était située à une heure de l’aéroport international de Salt Lake City mais aussi parce que le gouverneur de l’époque John Huntsman Junior souhaitait promouvoir son Etat en offrant notamment des crédits d’impôts. « Nous avons été l’une des premières entreprises du secteur à venir et d’autres ont suivi après », se souvient François Goulet.
Du fait notamment de sa longévité aux Etats-Unis, « nous connaissons bien notre marché et ses subtilités », affirme le président de la filiale. Mais cela n’empêche pas le groupe de s’adapter pour plaire aux goûts des Américains notamment dans le textile. Si les vêtements sont donc toujours imaginés par le bureau de style basé en Europe, le chef de produit prend en compte les tailles, le style et les coloris pour coller aux attentes des consommateurs. Côté skis et snowboards, la filiale travaille avec des agences américaines pour se différencier sur la décoration de quelques modèles de skis et snowboards.
Avec ses années d’expérience sur le territoire américain, le groupe français a pris la mesure de l’importance d’une force de vente adaptée à la taille de ce continent. “Quand nous avons commencé, nous avions des commerciaux salariés avec une équipe de promotion pour visiter les stations et les magasins. Cette méthode de fonctionnement correspondait à une période où le marché du ski se développait. Dans le courant des années 2000, nous avons tout changé pour travailler aves des agents commerciaux indépendants exclusifs”, précise François Goulet. Au pays de la libre-entreprise, le « you eat what you kill » est nettement plus efficace pour l’entreprise note François Goulet qui dispose d’une trentaine d’agents aux Etats-Unis et une quinzaine au Canada.
Pour une entreprise de la taille de Rossignol Amérique du Nord, la mise en place d’équipes pour les achats est indispensable d’autant plus que la structure doit gérer sa chaîne d’approvisionnement. « Pour les produits fabriqués en Asie, comme le textile, nous faisons directement nos achats avec des fabricants asiatiques sélectionnés par le groupe. Pour le matériel, dont la fabrication est essentiellement européenne, nous effectuons nos prévisions. Elles sont ensuite consolidées dans la production totale du groupe qui est gérée par un planning central en Europe », explique François Goulet tout en précisant que la maison-mère va ainsi facturer en dollars la structure américaine. Sur ce point, les taux de change euros/dollars sont fixés à chaque début de saison par Skis Rossignol SAS. Ces taux couvrent toute la saison pour ne pas évoluer. En clair, Skis Rossignol SAS joue le rôle de fournisseur traditionnel avec la filiale nord-américaine.
Les produits commandés sont ensuite envoyés depuis une plateforme logistique européenne ou directement par les usines asiatiques vers les centres de distribution nord-américains, dont celui des États-Unis localisé à Ogden (Utah) et qui s’étend sur 14 000 m2 environ. « C’est de là que partiront toutes les commandes pour nos distributeurs B2B et pour les consommateurs B2C », dit-il. Le choix de se faire livrer directement depuis les lieux de production est lié aux tarifs douaniers qui sont calculés suivant le pays d’origine. Que ce soit depuis l’Europe ou l’Asie, ces tarifs s’élèvent à 18 %. Dans le cas du textile, il vaut mieux être livré directement aux États-Unis par les fournisseurs asiatiques car en passant par l’Europe, un produit serait taxé deux fois à son entrée en Europe puis sur le territoire américain. Enfin, pour la tarification des articles des marques du groupe, c’est un travail confié aux commerciaux et aux chefs de produits assistés par les équipes en charge du planning de production afin de fixer les prix wholesale des distributeurs et les prix de vente publics.
Pour que les skis et autres produits du groupe soient le mieux vendus sur le territoire, Rossignol s’appuie essentiellement sur le wholesalequi représente environ 90 % du chiffre d’affaires de la filiale. Les 10 % restants proviennent de la vente directe aux consommateurs via Internet. Actuellement, la filiale nord-américaine travaille avec environ 1 500 magasins et sites Internet aux États-Unis et 600 au Canada. Les distributeurs (physique et digital) restent donc la cible majeure du groupe et leur choix se fait grâce à une analyse en profondeur du marché et des zones de chalandises. “Sur le matériel, nous travaillons avec des big players comme Recreational Equipment Inc (REI, ndlr)”, précise le dirigeant. Rossignol va également chercher à être référencé dans les magasins spécialisés phares d’une ville comme McGhies à Las Vegas ou Willi’s à Pittsburgh. “Le choix des enseignes est réfléchi avec des stratégies mises en place par des équipes qui connaissent bien les réseaux. Il est ainsi important de travailler avec des équipes locales qui ont des contacts auprès des bons distributeurs”, dit-il encore. Pour le textile et la chaussure, Zapos ou Nordstrom permettent de bénéficier d’une forte visibilité physique et en ligne sur l’ensemble du territoire. Le groupe mise aussi sur ses boutiques en propre, dont celle de New York à SoHo. Une deuxième boutique a ouvert en février dans la prestigieuse station d’Aspen. Mais comme le souligne François Goulet, le retail en propre n’est pas l’objectif du groupe qui préfère miser sur le wholesale. Ces boutiques sont stratégiques afin de pousser les ventes dans le textile en leur offrant une vitrine dans des lieux mythiques.
En matière de communication et de marketing, une marque globale comme Rossignol s’adresse aux consommateurs dans le monde entier d’une seule voix. Mais il est indispensable de trouver le bon ton en fonction des zones géographiques. “Une équipe globale définit les grandes histoires de la marque sur lesquelles nous nous alignons. Mais ce sont nos équipes américaines qui réalisent le trade marketing pour les magasins”, indique François Goulet. De même, Rossignol Amérique du Nord dispose de ses propres compétences dans certains segments forts aux États-Unis comme le snowboard ou le freeride. “Nous nous devons d’avoir un contenu local qui est adapté pour s’adresser aux consommateurs avec les bons athlètes”, dit-il encore. Un snowboarder ou un freerider de nationalité américaine aura plus d’impact auprès des clients américains comme c’est le cas avec les freeriders Parker White et Chris Logan ou le skieur alpin Ryan Cochran-Siegle. Dans un esprit identique, la marque française mise sur des initiatives auprès des juniors avec une équipe dédiée à la compétition. Connor Farrow, par exemple, travaille avec les entraineurs américains et les clubs alpins du pays et anime le programme de courses et de parrainage junior. Un moyen de faire parler de la marque dans les grands lieux de pratique et de séduire les jeunes skieurs américains pour qu’ils rident en Rossignol et portent les couleurs de la marque.
Chiffre d’affaires Groupe : 270 millions d’euros.
Amérique du Nord (USA & Canada) : 89,1 millions d’euros (33 %).
Nombre de points de vente aux USA (physique et digital) : 1 500 magasins.
Nombre de points de vente Canada : 600 magasins.