Des succès et des échecs, des essais plus ou moins heureux, des remises en question, des déménagements, des réorganisations… Revol a vécu plusieurs vies aux Etats-Unis. Un itinéraire plutôt logique pour un groupe familial, basé à Saint-Uze dans la Drome, fondé en 1768.
Distribué dans 84 pays, Revol a traversé pour la première fois l’Atlantique il y a une trentaine d’années mais ses débuts aux Etats-Unis ont été pour le moins… chaotiques. « Quand je suis entré dans la société en 1999, ce marché représentait à peine 5% de notre chiffre d’affaires, reconnaît Olivier Passot, aujourd’hui président du groupe et représentant de la 9ème génération. Mon père m’a recruté pour relancer notre activité dans ce pays que je connaissais bien car j’avais fait une école de commerce à San Francisco puis un stage chez notre importateur de l’époque qui se trouvait à Seattle. » Les droits de douane de 25% imposés par Washington, les coûts de fabrication élevés du « Made in France », les frais de transport prohibitifs ainsi que les marges prises par son partenaire local et les distributeurs transformaient ses assiettes et ses bols en véritables produits de luxe avec des prix de vente au public deux fois plus élevés que ceux proposés en France. Au fil du temps, Revol commence toutefois à se faire un nom et à trouver des clients. « A la fin des années 90 et au début de la décennie suivante, nous nous sommes très fortement développés car j’avais vu le potentiel de croissance que nous pouvions enregistrer auprès du retail et des professionnels, se souvient Olivier Passot. J’allais, à l’époque, aux Etats-Unis sept à huit fois par an pour me rendre notamment dans des salons. »
Cette belle histoire s’est arrêtée brutalement en 2005 lorsque l’importateur du porcelainier a fait faillite suite au divorce houleux du couple qui pilotait l’affaire. « Je me suis retrouvé du jour au lendemain le bec dans l’eau, raconte le président du groupe qui emploie 203 collaborateurs. J’ai vite recherché d’autres partenaires alternatifs mais je n’en ai trouvé aucun. Les quotas qui frappaient la porcelaine fabriquée en Chine venaient d’être abolis et personne ne voulait prendre le risque de représenter une entreprise comme la nôtre avec des prix aussi élevés. J’ai alors réalisé que la mésaventure que nous venions de connaître pourrait se produire à nouveau avec un autre importateur. J’ai donc eu l’idée de créer une filiale aux Etats-Unis. Mon père qui était président n’était pas tenté par cette initiative qu’il trouvait trop risquée mais j’ai fini par réussir à le persuader… »
Le premier « siège social » de Revol USA était situé dans le… garage d’une maison près de Miami en Floride. Le couple franco-argentin qui vivait là représentait la marque drômoise sur le marché américain qui a changé d’adresse officielle au fil des déménagements du ménage en Pennsylvanie et dans le Colorado. « Nous sous-traitions la logistique à l’époque et j’animais personnellement jusqu’en 2010 l’équipe de vingt à trente agents indépendants qui travaillaient pour nous aux quatre coins du pays. » En 2009, Revol USA installe son siège social à Atlanta. Il y restera dix ans.
En 2013, le couple franco-argentin décide de quitter l’entreprise. Ce départ se fera sans anicroches car la société française employait déjà sur place cinq salariés, dont deux commerciaux, deux assistants et un responsable de la logistique qui gérait l’entrepôt que le groupe sous-louait dans la capitale de la Géorgie. Pour remplacer le duo qui pilotait Revol USA, Olivier Passot décide de nommer un Français au poste de General Manager. Cinq ans plus tard, il recrute un véritable CEO pour piloter ses activités aux Etats-Unis. 2018 marque également le déménagement -un de plus- de Revol USA à New York. « Cette ville reste la Mecque du design aux Etats-Unis et le cœur névralgique des entreprises présentes dans les arts de la table et la restauration, justifie Olivier Passot. Son image est nettement plus haut de gamme qu’Atlanta où nos stocks sont toujours entreposés. »
Le porcelainier ne tente pas pour autant de se faire passer par un fabricant local. Bien au contraire. Le drapeau tricolore et le label « Made in France » figure en tête de la première page de son site américain sur la Toile. La patronne actuelle de sa filiale, Alexandra Jacques, est, elle aussi, française.
Après plus de dix ans chez BIC où elle a travaillé dans le marketing et le « business development », cette mère de trois enfants a suivi son mari aux Etats-Unis, à Philadelphie d’abord puis à New York, où le couple créé un concept de pâtisserie. Après trois ans et demi de collaboration, Alexandra Jacques a envie d’une nouvelle aventure. « Je fonctionne au coup de cœur et par l’intermédiaire du réseau français à New York, j’ai rencontré une cadre de Revol lors d’un cocktail, se souvient t-elle. Elle cherchait une personne pour prendre en charge les activités du groupe aux Etats-Unis et après plusieurs entretiens notamment avec Olivier, j’ai obtenu le poste. » Dès son arrivée, la femme d’affaire remet de l’ordre dans l’organisation de la filiale. « Elle était gérée de façon communautaire par deux commerciaux, résume t-elle. L’un s’occupait du retail et l’autre de l’hospitality. J’ai commencé par chercher à professionnaliser notre modèle. Nous avons externalisé tout ce qui ne touchait pas directement au business comme la comptabilité et nous nous sommes rapprochés d’un cabinet d’avocats local. Comme nous ne sommes que trois, nous sommes dans le mode « relevons-nous les manches et allons-y. »
Olivier Passot ne regrette pas d’avoir embauché une Française à ce poste même si de nombreuses entreprises hexagonales disent qu’il est préférable de nommer un américain pour gérer ce marché si spécifique. « Il n’y a aucune prime à être un américain de souche dans ce pays, tranche t-il. Être français pour vendre l’art de vivre à la française n’est pas aberrant. C’est même un plus. Les Américains aiment notre petit accent tant qu’on est capable de parler parfaitement leur langue. »
La pandémie a eu un certain impact sur les activités de Revol aux Etats-Unis. Sa filiale a diminué de moitié ses effectifs. La baisse de 5% de ses revenus enregistrée l’an dernier est toutefois nettement inférieure à celle de son secteur. Aujourd’hui, cette filiale réalise 65% de son chiffre d’affaires auprès des professionnels de l’hôtellerie et de la restauration et 35% grâce au grand public (ce rapport atteignait plutôt 75/25 avant l’arrivée du Covid). Revol USA génère 10% des recettes mondiales de sa maison-mère contre 15% il y a deux ans. Le potentiel de croissance du second marché le plus important du porcelainier après la France reste toutefois immense.
« Les Etats-Unis sont un pays passionnant car son potentiel économique est très important, analyse Olivier Passot. Les consommateurs là-bas ont un véritable sens de la qualité et une réelle admiration de l’art de vivre européen. Ils aiment notre cuisine, nos vins, nos cosmétiques, nos griffes de luxe et nos créateurs de mode. Cette fascination explique pourquoi les touristes américains sont si nombreux dans notre pays et pourquoi ils apprécient tout particulièrement nos palaces. Leur pouvoir d’achat élevé leur permet, de surcroît, de s’offrir nos plus belles marques. Ils comprennent nos produits et notre qualité. » Cet intérêt certain pour le « Made in France » n’est toutefois pas une garantie de succès pour les entreprises hexagonales qui souhaiteraient se lancer outre-Atlantique. Loin de là…
« C’est un marché ultra-concurrentiel dans lequel tout le monde veut être, prévient le président du porcelainier. C’est également une nation très scindée entre le haut de gamme et le « mass market » qui est plutôt bas de gamme. Il est donc difficile pour les marques du moyen de gamme de percer dans ce pays. Pour réussir, il faut avoir des produits de qualité, des prix justes et des histoires à raconter. C’est pour cette raison que nous communiquons beaucoup sur nos origines et notre savoir-faire. Lorsque les Américains achètent un produit Revol, ils veulent revivre dans leur maison ce qu’ils ont ressenti en France lorsqu’ils prenaient un pastis à une terrasse ou se reposaient au bord de la piscine d’un mas en Provence. » Répliquer à la lettre aux Etats-Unis le modèle français n’est toutefois pas une bonne idée…
« Le marché ici n’est pas le même, tranche Alexandra Jacques. Beaucoup pensent que les Etats-Unis ressemblent plus à l’Europe que l’Asie mais cela n’est pas forcément vrai. Le niveau de raffinement ici n’est pas aussi élevé même s’il s’améliore peu à peu. Les produits qui plaisent sont aussi souvent différents. Le succès de notre tasse froissée n’a pas duré bien longtemps car les Américains aiment boire leur café dans des gros mugs avec anse et non pas dans des petites tasses à espresso. Il existe aussi dans ce pays d’énormes marchés qui sont pratiquement inexistants en Europe. C’est le cas notamment des croisières et des stades qui sont gigantesques et d’un luxe inouï. La culture du buffet et du banquet dans les grands hôtels est un autre segment très important. Nos produits ne correspondent d’ailleurs pas toujours aux attentes de ces clients. Pour répondre à leurs besoins, nous allons bientôt lancer des produits qui seront commercialisés uniquement aux Etats-Unis. »
La taille et la diversité de cette nation impose également une organisation commerciale spécifique. Revol, en plus de son show-room de 70m2 situé dans l’immeuble du 41 Madison qui regroupe les plus grandes marques des arts de la table, se repose sur tout un réseau de représentants payés à la commission. « Nous en avons une dizaine dans le retail et une cinquantaine dans l’hospitality qui travaillent pour plusieurs fabricants de notre secteur, calcule Alexandra Jacques. Nous fonctionnons aussi beaucoup avec des distributeurs afin d’avoir un maillage complet de cet énorme pays. Nous avons profité de la crise sanitaire pour les former. Nous leur avons expliqué notre identité et détaillé nos best sellers. S’implanter ici coûte très cher. Pour être présent dans un salon professionnel, par exemple, vous devez débloquer un budget de plusieurs dizaines de milliers de dollars. »
Concernant le modèle le plus efficace pour s’implanter aux Etats-Unis, le patron du groupe drômois n’est pas catégorique, lui qui n’a pas toujours transformé ses essais sur ce marché. « Ouvrir une filiale n’est pas neutre, conclue-t-il. C’est un fil à la patte et un engagement qu’il ne faut pas prendre à la légère car vous avez besoin d’équipes et d’infrastructures efficaces pour que cela fonctionne. Une telle entité présente des opportunités mais aussi des responsabilités. Pour se lancer dans ce pays, il peut être préférable de passer par un importateur qui vous permettra d’apprendre et de comprendre ce marché. Ce modèle peut même être efficace sur le long-terme. Alors si vous ne pensez pas réaliser plus de 300.000 euros de chiffre d’affaires, n’ouvrez pas de filiale aux Etats-Unis. Nous, nous avons franchi ce pas car nous n’arrivions pas à trouver de partenaire idoine et nous savions que notre potentiel de croissance était encore très important. » L’expérience d’un groupe fondé il y a 253 ans mérite le respect…