Chant ancestral né aux confins du Maroc, l’Aïta a toujours fait partie de la vie de Bouchra Ouizguen: “Je ne l’ai pas découvert, c’est présent dans la vie de tous les jours au Maroc” explique-t-elle. Dans les fêtes familiales, les mariages, celles qui excellent dans cet art et que l’on nomme aussi les Aïta se produisent régulièrement, entamant ce chant particulier “presque crié” décrit Bouchra.
Chanteuses de cabaret, elles ont souvent été à la fois populaires et honnies par la société marocaine, étiquetées filles de mauvaise vie. Et c’est en partie cette indifférence au qu’en dira-t-on qui a fasciné la chorégraphe marocaine de 40 ans et qui l’a poussée à partir à leur rencontre dans les endroits les plus reculés du Maroc: “J’ai voyagé pendant trois ans pour aller les voir, discuter mais pas du tout dans l’optique de faire un spectacle” raconte-t-elle. “J’avais beaucoup d’admiration pour ces figures de femmes marocaines qui avaient décidé de devenir artistes et puis ce chant, la technicité vocale qui va avec, ce sont des virtuoses”.
Elle avait simplement envie de les comprendre, de savoir pourquoi à 13 ou 20 ans elles avaient voulu faire ce métier. Ce périple était aussi un regard porté sur la société marocaine des années 40 à nos jours. Une interrogation sur son propre parcours et sa propre vocation, elle qui n’est “pas du tout” née dans un milieu qui la prédestinait à la danse. “Ma mère était femme au foyer et mon père jardinier. A moins de considérer le jardinage comme un art…” dit-elle en riant.
Bouchra Ouizguen a fait du chemin depuis. Après le centre Pompidou, Madame Plaza, sa cinquième création, se retrouve programmée à New York: “On est très contente, très excitées. L’Amérique c’est un peu la destination impossible à atteindre. L’entourage est très fier” raconte-t-elle. “Pour moi, ça évoque beaucoup de films, une grande diversité dans la création, la population…et puis quelque chose de très positif. Depuis l’élection d’Obama, les Etats-Unis ont une très bonne image au Maroc”
Avant d’en arriver là, Bouchra Ouizguen balançait des hanches dans les fêtes, comme danseuse orientale, un art appris sur le tas avec des cassettes vidéos. Et à la maison, elle dansait pour elle tout autre chose: “J’ai commencé à créer des choses sans jamais mettre un nom dessus. Et puis un soir, je suis allée par hasard à un spectacle de danse contemporaine à l’Institut français de Marrakech” se souvient-elle. “Et là j’ai vu qu’il y avait des gens qui cherchaient et faisaient la même chose que moi. Ca a été une petite goutte vers une marrée de découvertes, de spectacles…”. Elle commence alors des stages de danses à l’Institut français, et rencontre ses deux mentors Mathide Monnier et Boris Charmatz qui la poussent à continuer. Bouchra dit qu’elle s’est formée à l’envers, allant à l’école à la fin du parcours.
Pour cette dernière création, le déclic qui a transformé le voyage initiatique en création artistique s’est fait par une rencontre: “C’était une chanteuse d’Aïta de 98 ans. J’avais peur en en faisant un spectacle de dénaturer cet art, de passer à côté des choses en mettant ça à la sauce contemporaine” se souvient Bouchra. “Et cette femme m’a convaincue que je pouvais le faire, que je passerai outre les clichés” poursuit-elle.
Elle sélectionne donc quatre femmes au fil de son voyage et monte son spectacle, Madame Plaza, du nom du plus vieux cabaret de Marrakech où l’une des Aïta présente sur scène travaille toujours :”J’aimais bien ce nom. Plaza c’est la place, c’était donc s’accaparer la place scénique, ça faisait référence au fait qu’elles contrôlent leurs vies, leurs choix” raconte Bouchra.
Mais si la création réunit cinq femmes sur scène et parle de leur liberté, elle n’est pas féministe pour autant. Bouchra Ouizguen s’en défend même “Absolument pas. J’aurais pu faire ce spectacle avec des mecs aussi. J’en ai rencontré qui chantaient très bien l’Aïta. C’est juste que j’aime bien ces atmosphères féminines, êtres entourée de femmes” analyse-t-elle. “Ce n’est pas un combat, une réflexion sur le statut de la femme. Ce sont plus des singularités de femmes qui sont données à voir que le mot général “femme”” souligne Bouchra.
Des singularités qui ne cessent d’impressionner la chorégraphe:”Démarrer comme ça une carrière de danseuse contemporaine à 50 ans ou plus… j’ai beaucoup d’admiration pour ça. J’espère avoir moi aussi plus tard cette esprit jeune et cette vivacité” lance-t-elle dans un rire.
Au Florence Gould Hall, les 22 et 23 septembre. Billets et renseignements.