Il est longtemps resté dans l’ombre, mesurant sa réussite par la gloire des autres, les quelques 150 clients, grands hôtels de Las Vegas et de Californie, compagnies de croisières de Floride, qui depuis plus de huit ans servent par milliers les bouchées de chocolat et les exquis macarons produits dans son usine haut de gamme de Moonachie, dans le New Jersey. Thierry Atlan, l’apprenti de la célèbre maison Charpot de Troyes, sa ville natale, sacré meilleur ouvrier chocolatier de France en 1997 pendant son ascension chez Lenôtre, avait officié pendant dix ans comme consultant international en chocolaterie avant de venir diriger près de New York en 2012 la production en gros de la société Sugar and Plumms.
Cette fois, il appose son propre logo stylé sur sa première boutique, ouverte le 25 mai à Manhattan au cœur de Soho, au coin de West Broadway et Spring Street, une étroite échoppe dont les murs vanille au chic avenant rehaussent les trésors maison : 18 sortes de macarons et autant de chocolats, alignés en parade multicolore dans des vitrines à l’hygrométrie parfaite importées à grands frais d’Italie.
« C’est simplement de la haute qualité, confirme Thierry Atlan, entre deux hello enthousiastes aux clients qui défilent de West Broadway. Et la haute qualité n’a pas besoin d’être snob, élitiste et intimidante ».
Son expérience de consultant spécialisé lui est toujours précieuse. Réclamé de Dubaï à Bangkok et Vegas pour son talent à réarranger les vitrines et les assortiments des détaillants de luxe, autant qu’à adapter les produits aux goûts locaux, ce maniaque des saveurs et du décorum est bien outillé pour explorer le potentiel des papilles américaines, anesthésiées depuis l’enfance par les barres Hershey insipides. « Ils sont curieux, ouverts, prêts à découvrir des sensations nouvelles, s’enthousiasme-t-il. Certains clients se révèlent des puits de science qui m’interrogent sur la sélection de mes fèves de cacao, mais la plupart mesurent le haut de gamme à l’authenticité, au côté unique du produit. »
On ne trouvera pas un atome d’agent de préservation dans ses macarons, dont la fraîcheur est assurée par une technique maison secrète. Par-delà le croustillement subtil, le moelleux égayé par les pépites croquantes du cœur, la signature Atlan réside dans la vérité du goût. « Quand nous disons « à la framboise », la saveur du fruit doit sauter au palais, sans fioritures inutiles ni ambiguïté. C’est notre marque de fabrique. »
C’est aussi un business, acharné à concilier la qualité avec des volumes impressionnants. À Moonachie, au bout des pistes de l’aérodrome de Teterboro, dans le New Jersey voisin, Thierry Atlan et sa fille Julie, Chief operating officer de l’entreprise, et diplômée de management et direction d’entreprise à NYU, assurent la production de 20 000 macarons par jour par une équipe de seulement dix personnes. L’usine est exempte des problèmes de chaîne d’approvisionnement qui maltraitent l’agro-alimentaire américain.
Hormis le chocolat, qui est importé de France, toutes les matières premières proviennent des États-Unis ; les amandes de Californie, les œufs et le lait de la côte Est. « Cela a un grand intérêt pour la logistique, et pour la fraîcheur des ingrédients, commente Julie Atlan, mais nous mettons un point d’honneur à nous approvisionner chez des producteurs locaux, autant pour assurer la qualité constante que pour nous ancrer ici en tant que fabricants américains. »
Son savoir-faire enrobe aussi le management. En 2011, Lamia Jacobs, ancienne trader en pétrole reconvertie dans la restauration, cherchait d’urgence un chocolatier pour requinquer les étals de sa chaîne de bistros Sugar and Plumm. Recommandé par le réseau des chefs de Las Vegas – tous Frenchies – Thierry Atlan, le consultant au prestigieux col tricolore de meilleur ouvrier de France, pouvait arguer auprès de l’investisseuse de ses trois années passées à la tête des grosses opérations chocolat de Disneyland Paris, mais surtout de sa formation dans le saint des saints de l’agro-alimentaire français.
« Lors de mon premier bon job, dans les cuisines d’une base de l’armée de l’air, je me suis découvert une allergie au gluten qui m’interdisait de poursuivre dans la pâtisserie, raconte-t-il. Alors j’ai opté pour le chocolat, chez Lenôtre. »
Bien avant de s’initier aux ressorts du colossal marketing de la maison, le jeune ouvrier a découvert une culture d’entreprise unique, fondée sur la cohésion et l’esprit d’équipe. « Je revois encore « Gaston » serrer la main de tout le monde le matin, du livreur au chef le plus coté, garantir à chacun son importance, honorer la collaboration et le collectif, se souvient-il. Ici, j’essaie de faire la même chose. Il y a le chocolat et les macarons, mais l’humain, c’est ce qui fait tourner la maison… »